(Source : nouvelobs.com)

Dimanche 26 septembre, au cours de la matinée Samir Nasri annonce sa retraite. Joueur d’une autre époque, il a fait part de sa décision dans les colonnes du JDD sans s’attarder sur l’ensemble de sa carrière. Sans club depuis 2020, il clôt sa vie de footballeur professionnel de triste manière. Tout un symbole.

Il était l’élu, c’était lui ! L’histoire récente de l’Équipe de France s’est pourtant écrite sans Samir Nasri. Mis en haut de l’affiche très tôt, il n’a parfois pas supporté la pression. Sa grande gueule lui a valu de nombreux conflits, son côté provocateur en a fait la figure de proue d’une Génération 87 jugée trop immature, son caractère lui a fermé quelques portes que ses pieds avaient facilement ouvert. A 34 ans, il prend sa retraite en tentant de fermer un livre où les zones d’ombre ont pris bien trop de place dans une carrière qui aurait du être marquée par la lumière footballistique.

IMPITOYABLE PRESSION

A quel point peut-on juger une carrière comme ratée ? Près de quinze ans dans le monde professionnel en ayant été titulaire à l’Olympique de Marseille, Arsenal, Manchester City et le FC Séville prouve que Samir Nasri n’a pas été le gâchis qu’on dépeint parfois. Nos intervenants sont pourtant unanimes : Nous sommes passés à côté de quelque chose de bien plus grand. Le Petit Prince était voué à devenir le futur Zidane, il devait porter les rênes de l’Équipe de France mais il n’a jamais su assumer de si lourdes responsabilités. Celui qui n’hésitait pas à prouver qu’il était un leader dans les catégories jeune a rarement su faire de même dans le monde des grands. Celui qui a remporté haut la main l’Euro U17 avec les Bleus a semblé raté tous les rendez-vous promis avec cette même équipe nationale plus tard. 

Il lui a peut-être manqué un peu de maturité. Je persiste mais avec une rigueur maximale, il aurait pu faire ce qu’a fait Zidane. Il a longtemps joué sur ses qualités mais pour être le meilleur il faut être plus exigeant que cela. Même s’il a joué dans des grands clubs comme l’OM, Arsenal ou Manchester City. Il y a un goût d’inachevé au niveau international et notamment avec l’Équipe de France” confirme son ancien éducateur Eric Rech. Le principal point noir de la carrière de Nasri se situe avec ce maillot bleu. Une tunique qu’il rêvait de porter petit et qu’il continua de représenter avec fierté. Pourtant, l’histoire a plus souvent tourné à la tragédie entre les deux parties.

Un doigt sur la bouche, une place de bus volée, du chambrage, quelques insultes et trop peu de moments marquants. Décrire les sélections nationales d’un joueur du talent de Samir Nasri de cette manière est plus que frustrant. Maxime Masson, auteur de l’ouvrage “1987, Génération Sacrifiée” explique : “Ses frasques ont parfois fait oublier le joueur magnifique qu’il était. Samir devait être le meneur de jeu des Bleus pendant plus de dix ans, c’était le digne héritier de Zidane. Il avait le charisme et les compétences pour être le cadre de l’Équipe de France”. Il n’aura finalement jamais porté la cape de meneur des Bleus. Pire, il aura davantage déshonoré son équipe et lui-même.

Après son titre de jeune champion d’Europe, Samir Nasri se présentait comme la nouvelle star française et devait marquer la décennie suivante par son talent. Lancé par Raymond Domenech en vue de l’Euro 2008, il impressionne assez vite. Durant la compétition cependant, son comportement agace ses coéquipiers avec un épisode qui aurait dû être anecdotique mais a pris des proportions immenses, comme souvent avec lui. En montant dans le car bleu, il s’assoit à la place officieusement attribuée à Thierry Henry fort d’une expérience longue de dix ans et auréolée de titres. L’affront ne passe pas pour le Barcelonais et pour certains autres cadres du vestiaire comme William Gallas. Dans un documentaire réalisé par L’Equipe, Jean-Alain Boumsong raconte ce qui clochait : « Pour Samir, à partir du moment où on est en Équipe de France, on est dans une équipe et on est tous égaux. Mais il fallait qu’il appréhende ces susceptibilités et qu’il gère au moins le temps des débuts pour ne pas brusquer certains« . Même constat pour Maxime Masson : “Il est arrivé en Équipe de France à 19 ans dans un vestiaire de darons et il s’est comporté comme en catégorie jeune. Dieu sait que c’est quelqu’un d’intelligent mais il n’a pas eu la lucidité de se mettre les cadres dans la poche. Il est resté trop brut et, dans le football, mieux vaut être conciliant”.

RENDEZ-VOUS MANQUÉS

Cette franchise lui a joué de bien mauvais tours tout au long de sa carrière. Souvent présenté comme un excellent orateur, Samir Nasri a démontré qu’il pouvait tout autant être un piètre communicant. L’auteur du livre sur la Génération 87 tente de prendre sa défense : “Nasri a eu le tort d’être trop franc. Il a toujours dit ce qu’il pensait de ses coéquipiers, de ses entraîneurs, des journalistes, du monde du football en général. Cela lui a joué des tours puisqu’à partir du moment où tu ne performes pas autant que d’habitude, les gens te tombent très facilement dessus”. Tout en sachant très bien que si certaines choses ne sont pas passées, il en était le principal responsable : “Il ne faut pas dire que c’était un ange, ce qu’il a fait à l’Euro 2012 est critiquable. Les gens retiendront aussi la déclaration de sa copine envers Didier Deschamps au moment où il n’est pas dans le groupe pour partir au mondial 2014 et il n’a rien fait pour l’en empêcher. Il n’a jamais rien fait pour faire l’unanimité, pour rentrer dans le rang, pour lisser son image. Tu le prends comme il est”.

(Source : le10sport.com)

Les faits énoncés par Maxime Masson sont symptomatiques des rendez-vous manqués en Équipe de France. Non-convoqué pour la Coupe du Monde 2010, il assiste au fiasco de chez lui et voit arriver Laurent Blanc à la tête de la sélection bien décidé à donner enfin du temps de jeu aux joueurs français pétris de talent. Nasri en profite évidemment, revient au niveau qu’on lui connaît à Manchester et arrive lancé pour l’Euro 2012. Dès le premier match de la compétition, il s’illustre de ses deux façons privilégiées : le sportif et l’extra-sportif. Il marque un magnifique but face à l’Angleterre avant de célébrer face à la tribune de presse, index sur la bouche assénant une insulte sans équivoque. Pape Diouf, son ancien président à l’OM, explique dans le documentaire : « Ce geste-là, je l’ai interprété différemment des autres. Non pas sur l’exemple d’une arrogance, d’une insolence mais plutôt le ras-le-bol d’un joueur qui savait pertinemment où il en était, qu’il ne donnait pas tout ce qu’on attendait de lui et qui ne supportait pas que ce soit les autres qui le disent à sa place« . Une énième réaction qui n’a pas lieu d’être au même titre que celle quelques jours plus tard où après l’élimination face à l’Espagne, il insulte un journaliste français en zone mixte.

Exit Laurent Blanc après ce nouvel échec national pour laisser place à Didier Decshamps. Alors que Samir Nasri marche sur l’eau avec Manchester City, il ne réalise jamais de performance similaire en bleu. Le barrage aller de novembre 2013 face à l’Ukraine (2-0), où il n’est pas bon, marque un nouveau point de rupture dans sa carrière française. En effet, dès le lendemain, toujours d’humeur à chambrer, il agace davantage le staff. Si bien qu’il assiste à la qualification miraculeuse depuis le banc de touche. Cela lui fera rater un autre rendez-vous majeur, celui de la Coupe du monde 2014. Déjà absent quatre ans plus tôt, il se résigne à écouter sa mère et à prendre sa retraite internationale qui lui cause plus de mal qu’autre chose. Il voudra quand même clarifier un point à propos du sélectionneur : « Deschamps est un hypocrite. Il aurait dû se comporter en tant qu’homme et assumer ses choix en me disant : ‘écoutes c’est comme ça, tu viens pas et si t’es pas content tant pis’ « . Entre les deux hommes, l’ambiance est loin d’être au beau fixe puisque la compagne du joueur insulte l’entraîneur sur les réseaux sociaux avant que ce dernier ne porte plainte. Nasri s’excuse mais demande à le rencontrer par l’intermédiaire de leur agent respectif, Jean-Pierre Bernès. Demande constamment rejetée par Didier Deschamps.

VÉRITABLE GÂCHIS…

Le maillot bleu semblait un fardeau pour le meneur de jeu. Son absence ne se fit finalement pas tant ressentir que cela dans la suite de sa carrière car, après 2014, il ne réalise plus qu’une véritable saison de haut standing. Celle du côté de Séville. Et encore. Si nous avons loué ses six premiers mois dans l’épisode précédent, nous n’avions pas évoqué l’affaire de dopage qui changea sa saison et la fin de sa vie de joueur professionnel. Alors qu’il est très malade durant un séjour familial, Nasri décide de se faire injecter une dose de vitamine autorisée par l’UEFA. L’instance de football européen, alertée par une photo de l’infirmière sur les réseaux sociaux, décident tout de même de monter une enquête sur cette injection et découvre que la dose dépasse le seuil requis. le joueur est alerté et s’effondre instantanément : “Je sais que je vais être suspendu. À ce moment-là, je n’ai plus envie de jouer. La saison est terminée pour moi”. Elle était alors parfaite jusque-là. 

A peine mis au courant de sa future suspension, qui n’est pas encore rendue officielle, il affronte Leicester City dans le cadre du huitième de finale de Ligue des Champions. Lors d’un accrochage avec Jamie Vardy, Samir Nasri s’emporte et fait un geste s’apparentant à un coup de tête. Il est exclu et sort du terrain dans un couleur noire jamais vue depuis ses débuts. La fin de l’aventure andalouse tourne au vinaigre et l’UEFA le suspend d’abord pour une durée de six mois avant d’alourdir la sanction à dix-huit ! Le joueur ne digèrera jamais cette décision et ne s’en relèvera pas. Il termine sa carrière de très triste manière en enchaînant huit matchs à Antalyaspor, six à West Ham et huit à Anderlecht. L’Angleterre était heureuse de revoir Nasri fouler les pelouses du pays avant de s’apercevoir qu’il était à des années lumière de son véritable niveau. Quentin, supporter d’Arsenal, raconte le point de vue britannique :  “Aujourd’hui, je pense qu’il y a énormément de frustration par rapport au regard porté par l’Angleterre sur Nasri. Surtout par les fans d’Arsenal, qui l’ont placé très haut et qui ont vraiment vu à quel point ce joueur pouvait aller haut. Chez les fans de Manchester City, l’empreinte qu’il a laissée est beaucoup moindre en comparaison. Mais il est certain que tous les fans de football qui ont connu ses grands moments au club ne peuvent ressentir que de la frustration par rapport à ce qui a suivi”.

(Source : lebuteur.com)

Déjà attaché à Samir Nasri, Maxime Masson s’est vraiment plongé dans certaines archives souvent inconnues du grand public pour les besoins de son livre et son constat est éclairant : “Quand tu prends un peu de recul, la carrière de Samir est magnifique, malgré tout. Mais tu as ce goût d’inachevé. Ce gamin aurait dû être une star planétaire. Lui, Hatem et Karim devaient porter les Bleus pendant quinze ans. Ils avaient quelque chose de vraiment particulier et le plus complet était Samir. Ça en fait, pour moi, le plus gros gâchis de la Génération 87. A quel point peut-on être exigeant avec quelqu’un que l’on sait talentueux ? Faire une carrière comme la sienne, c’est réservé à 5% des footballeurs et on reste pourtant sur notre faim, on arrive encore à râler. C’est dire le joueur hors-norme qu’il était”. A quel point peut-on juger une carrière comme ratée ? Prendre en compte le talent intrinsèque est plutôt un bon indicateur.

… QUE L’ON PEUT EXPLIQUER

Souvent vu comme un jeune voyou, Samir Nasri n’était pourtant rien de plus qu’un compétiteur féroce. Le chambreur a été perçu comme un fauteur de troubles. L’analyste comme un arrogant. Longtemps couvé par ses parents, il est passé du quartier austère des Pennes-Mirabeau au luxe de la City londonienne. Un choc brutal qu’il n’a pas toujours su gérer de la meilleure des manières. Pour le grand public surtout. En effet, de nombreux échanges avec ses proches font comprendre que l’image du joueur est bien différente de celle de l’homme tout comme le portrait que peignait Eric Rech dans notre première épisode consacrée à sa formation. Au cours du documentaire de L’Equipe, Patrick Vieira raconte une anecdote singulière lorsque les deux hommes étaient à Manchester City : « Samir Nasri avait organisé la Christmas Party, on avait pris l’avion pour aller à Paris, passer la soirée et revenir. C’est Samir qui s’était occupé de tout ça et les joueurs l’aimaient beaucoup de ce point de vue là. C’est quelqu’un de très chambreur, qui aime rire, qui aime la vie. C’est bon d’être avec lui« . Un trait de caractère jamais mis en avant par la presse de l’époque.

Ces faits sont souvent passés derrière les frasques du joueur. Le personnage clair-obscur n’a vu que ses zones d’ombre être retenues par la masse. A coup d’amalgames, ce grand public pense même qu’il faisait partie des frondeurs durant le mondial 2010 comme l’explique Maxime Masson : “Il est arrivé dans une période sombre du football français. Il est lié pour des raisons honteuses à Knysna alors qu’il n’y était pas. La Génération 87 a fait l’objet de plein de déformations à travers les âges puisqu’on rappelle qu’aucun d’entre eux n’était en Afrique du Sud. Il y a aussi des raisons politiques au fait qu’on retienne plus ses frasques que ses dribbles ou ses buts. La montée des extrêmes, leur liberté de parole, leur poids dans la société. Il fait partie des joueurs qui ont pris ça de plein fouet”. Quand Roselyne Bachelot parla de “caïds immatures” à l’Assemblée Nationale, les principaux acteurs pointés du doigts faisaient partie de la Génération 87. Manque de chance aucun n’était dans le bus de la honte. 

De son enfance dorée à une fin de carrière plus que frustrante, le Petit Prince aura eu une carrière pleine de rebondissements. Véritable personnage romanesque, Samir Nasri s’est accommodé de bien trop de règles pré-établies pour être accepté d’un monde très clos. Son talent n’aura pas suffit à mettre tout le monde dans sa poche. Il aurait dû porter l’Équipe de France à un titre international mais assiste plus qu’impuissant au renouveau de la sélection. Et s’il était né dix ans plus tard ?

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