Thierry Barnerat est instructeur FIFA pour le poste de gardien de but, est l’analyste vidéo de Thibaut Courtois, a été responsable de la formation des entraîneurs de gardien de la Fédération suis durant douze ans et est désormais le papa de Keeper in Motion. Une application qui pourrait révolutionner le poste. En tout cas lui permettre de rattraper un sacré retard, notamment au niveau statistique.


Pourquoi avoir décidé de lancer cette application ?

Il y a un grand manque dans le football donc c’est un véritable besoin. Quand on va chercher les datas pour mettre en avant le travail du gardien de but, qu’est-ce qui ressort ? Le clean sheet est systématiquement utilisé alors que ce n’est pas du tout lié à la performance du gardien. C’est uniquement le résultat du travail collectif de l’ensemble de l’équipe, encore plus dans le monde professionnel. Pourtant, on dit encore que si le gardien de but a « fait » beaucoup de clean sheets, c’est qu’il est performant.

Quelles sont les statistiques intéressantes au niveau du poste alors ?

De mon côté, en tant qu’ex-responsable de la formation de la Fédération suisse, de mon passé avec les professionnels ou encore du travail de data que j’ai avec Thibaut (Courtois), je me demande ce que l’on doit rechercher essentiellement quand on est entraîneur des gardiens. Ce qu’on veut, c’est connaître l’activité de notre gardien durant le match. Ainsi, on peut déterminer que sur dix ballons joués, sept sont offensifs et seulement trois sont défensifs. C’est un ratio dont le grand public ne se rend absolument pas compte. Évidemment, ça varie entre chaque catégorie de jeunes, mais sur le football d’adulte c’est cette donnée.

Avec la Coupe du monde féminine qu’on vient de vivre, on peut établir des différences avec le Mondial U20 ou l’Euro Espoirs dans le même été. Pour les femmes, le jeu au pied représente en moyenne entre 55 et 60 % de ballons arrêtés, donc soit un renvoi des 5,50 mètres soit un coup franc. À part l’Angleterre et l’Espagne, il y a très peu de travail de possession de ressortie de zone. Chez les hommes, sept ballons sur dix sont joués en possession et les trois autres en position arrêtée. 

Au niveau défensif, ensuite, tu défends un but ou un espace. Sur dix actions, six sont au niveau du but et quatre sur l’espace. Quand j’analyse un match, je veux savoir le taux de ballons joués défensivement et offensivement. Dans le premier cas, est-ce que ce sont des frappes, des duels, des reprises ? Je dois alors savoir dans quel espace ça s’est passé, dans la surface de réparation, dans les airs, en profondeur ? Ça permet de savoir si une erreur arrive dans un cas précis ou sur des événements répétés. Sur huit corner, il prend un but, peut-on dire qu’il est catastrophique ? C’est à partir de là que j’ai voulu créer l’application.

(Source : servettiens.ch)

En quoi consiste-t-elle ?

L’application est d’abord vouée au monde amateur, à la formation et préformation ainsi qu’aux accompagnants, éducateurs ou famille. Grâce à Keeper in Motion, on va pouvoir savoir quelles situations le gardien de but à dû travailler durant le match. L’observateur doit rentrer les données manuellement : frappe, duel, ballon au pied en possession, etc. Il n’est pas question de jugement, savoir si c’est bien fait ou non. La base de l’application est de savoir quelle action de jeu est mise en lumière.

Ça se découpe en trois critères : défensif, offensif et transition.

Dans le premier, soit tu défends le but, soit l’espace. Le critère offensif, c’est de savoir si c’est un phase arrêtée ou en possession. Enfin, lors des transitions def-off, le gardien a le ballon dans les mains et doit choisir entre la relance à la main ou au pied. Derrière, il y a le souci de structurer le jeu du gardien de but pour amener les gens à enfin avoir une réflexion sur ce poste.

Il en manque encore aujourd’hui ?

En France, si vous demandez à expliquer clairement le travail du gardien de but, on va constamment parler de l’aspect offensif. Très, très rarement du travail défensif. On ne comprend toujours pas, ou du moins on n’en parle pas, qu’il faut défendre le but ou l’espace. D’ailleurs, dans la même action, je peux défendre un espace, puis voir que je ne peux pas atteindre le ballon et décider de défendre le but.


« On cherche une image complète et précise de son match. Ça existe pour tous les joueurs de champ, pas pour les gardiens de but. »


Keeper in Motion va-t-elle permettre aux gardiens d’évoluer ?

Elle va d’abord permettre de donner un support aux entraîneurs de gardien pour être capable de noter l’activité des gardiens dans un match. Ensuite, elle a un souci philosophique, en fonction de l’approche systémique, de simplifier l’activité des gardiens dans le jeu avec la structure « défensif, offensif, transition ». Enfin, quand les éducateurs vont saisir les données, ils auront la possibilité d’attribuer ou non la responsabilité de l’action au gardien et de noter si celle-ci est technique, tactique, cognitive ou mentale. Ça permet de dévoiler un rapport de match.

Il n’y a aucune application qui existe dans le genre ?

Il n’y a rien du tout ! À ma petite échelle, je veux donner un support au monde amateur pour qu’on puisse avoir un bilan de l’activité du gardien de but dans un match. On cherche une image complète et précise de son match. Ça existe pour tous les joueurs de champ, pas pour les gardiens de but.

Le gardien est un poste à part, sous le feu des projecteurs, où la moindre erreur peut coûter la victoire. Une telle plateforme peut-elle permettre de mieux évaluer sa prestation globale ?

C’est encore plus le cas dans le football de jeunes car c’est plus simple pour un éducateur de remettre la faute sur le seul gardien. Pourquoi dire « Qu’est-ce que t’as fait sur ce corner ? », plutôt qu’analyser la tactique globale sur les coups de pied arrêtés ? C’est comme dire : « Tout ce qui est dans la surface, c’est pour toi. » On a vu ça où ? C’est la hauteur et la trajectoire qui diront à qui le ballon doit arriver. Grâce aux données, on va savoir s’il y a vraiment une erreur de jugement ou non.  

(Source : lequipe.fr)

Ça peut pousser les clubs professionnels à utiliser l’application ?

Je ne pense pas parce qu’il y a beaucoup de travail avec l’analyse vidéo. Les statistiques qui sont beaucoup utilisées sont celles sur le jeu offensif ou les datas sur les conditions physiques. 

Comment, en 2023 où tout est chiffré, il ne peut pas y avoir plus de recherche sur ce poste ?

Le développement tactique du gardien de but, au niveau défensif, n’est absolument pas travaillé. En France, il n’y a aucune philosophie défensive autour du gardien de but. À l’entraînement, on ne travaille pas selon des actions de jeu. On travaille sur la réactivité ou l’explosivité, comme il y a 50 ans. Pourtant, des hommes comme Pep Guardiola ou Marcelo Bielsa ont fait évoluer le jeu en le mettant au cœur de la réflexion. Le gros problèmes des gardiens de but, c’est qu’il n’y a pas de culture tactique.

Ça peut arriver ?

C’est mon objectif, c’est l’une de mes priorités.

Propos recueillis par Enzo Leanni

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