Acteur du football tricolore depuis plus de trente ans, Yacine Hamened a pu constater les différents maux qui rongent celui-ci de l’intérieur. Déjà auteur de plusieurs ouvrages, dont “Pourquoi le football français va dans le mur” publié en 2015, il se penche de nouveau sur la question en signant “Les hors-jeu du football français”. Il a accepté de se confier à La Causerie à l’occasion de la sortie de ce livre. Première partie de ce grand entretien.

Dans votre livre, une répétition marque très tôt le lecteur :  “Il fut un temps”. Mais à quand remontent les hors-jeu du football français ?

Je pense que le vrai point de bascule, c’est le titre de champion du monde en 1998. A ce moment-là, les footballeurs deviennent aussi des objets médiatiques, qu’une partie bling-bling ou show business naît. Ils commencent à être invités partout, le grand public commence à vraiment parler d’eux, des salaires. Ça avait peut-être démarré autour de l’arrêt Bosman mais le vrai point de rupture, c’est ce titre mondial. Tout le monde prend conscience que le football est important, populaire, peut rassembler et rapporter de l’argent. Avant 1998, les parents pensent plutôt qu’il faut faire des études avant d’être footballeur, qui n’est alors qu’un loisir. On prend conscience qu’on peut devenir riche, ou aisé, grâce au football.

Quel impact peut avoir cette pression extérieure sur le dos d’un jeune footballeur ?

L’enfant qui ne réussit pas, c’est un échec. Il faut déjà savoir qu’il n’y a que très peu d’élus (un peu plus de 1000 sur les 2 millions de licenciés en France selon son enquête). Ensuite, le parcours individuel est propre à chacun. La réussite d’une vie, ce n’est pas devenir riche, c’est faire ce qu’on a envie de faire. C’est déjà un problème parce qu’on est davantage concentré sur le football que sur les études. Il y a aussi une part d’échec humain, on a affaire à des enfants détruits moralement, humainement. Dans le parcours, les gens ne prennent pas conscience de cela tellement ils sont obnubilés par cette ascension sociale, bien plus rapide que celle scolaire. Il y a bien plus d’échecs que de réussites mais les parents n’y croient pas. Quand je leur en parle, ils pensent que j’exagère ou que je noircis le tableau. On ne se rend pas compte du nombre d’enfants pratiquement détruits.

Y-a t-il un suivi psychologique pour ces jeunes qui ne réussissent pas à rentrer dans le monde professionnel ? 

Il n’y en a pas ou très peu. Quelques clubs le font mais c’est très très rare. C’est paradoxal et c’est drôle qu’on entende souvent les clubs se plaindre : “On nous a pris tel jeune. Un jeune s’en va à l’étranger, ce n’est pas normal”. Ils se posent en position de victime mais la réalité est toute autre. Eux n’ont jamais la décence, ni le recul, face au fait de virer dix-sept jeunes du centre de formation et s’en foutent royalement de ce qu’ils deviendront footballistiquement et scolairement. A partir du moment où il y a une fédération, une délégation de service public, je pense qu’il y a une obligation de s’occuper de la suite. Sans les assister, il faut au moins avoir un regard, les aider. Et c’est pareil avec les clubs qui sont contents de trouver des joueurs. Ils profitent de leur rêve pour les attirer. Ils devraient avoir cette obligation de les aider après l’échec dans le football. Or, aujourd’hui, les clubs prennent, gardent les meilleurs et jettent les autres.

Bernard Tapie disait à ce propos que le but d’un média est de “vendre le malheur des autres pour vous rendre heureux”. A contrario, vous faites remarquer que c’est le rêve footballistique qui est vendu par les médias sportifs et non ces échecs. 

Bien sûr, eux sont là pour vendre. Et pour vendre, il faut une belle histoire. C’est l’annonce de la sortie d’un jeune, “la nouvelle pépite”, “le nouveau crack” tous les ans. Et c’est partie pour une saison pendant laquelle les médias vont parler de lui. Le malheur sportif n’intéresse pas les gens donc les médias ne vont pas nous le vendre. L’histoire d’un enfant qui a arrêté le football à 18 ans après avoir été dans le centre de formation de l’OL ou du PSG, n’a pas fait d’études et ne sait pas quoi faire de sa vie ne fera pas du tout la même audience car elle ne vend pas du rêve.

“On considère que les gens issus des quartiers gèrent mieux le football amateur”

Le cas d’Olivier Giroud est assez intéressant puisqu’il a validé deux années de licence en STAPS “afin d’avoir un bagage si le football ne marchait pas”. Le fait de privilégier les études au sport aurait-il pu lui jouer des tours ? 

Olivier Giroud est entré au centre de formation de Grenoble et n’a pas été conservé. Très jeune, il a vécu l’échec. L’attaquant français a trouvé la force pour continuer le football et en plus de se dire, ça va être plus compliqué donc je vais continuer mes études. Après, encore une fois, quand on va parler d’Olivier Giroud ou de Raphaël Varane, diplômé d’un Bac S. On va vous vendre le footballeur qui a réussi à avoir le Bac le plus compliqué mais on ne va pas vous parler de tous les autres.

Contrairement à eux, beaucoup ont un bac pro ou bac STMG, sans doute parce qu’ils ont justement privilégié leur carrière footballistique. 

C’est ce que je dis dans le livre. On met les jeunes sur des voies : il y aura moins de travail à faire après les cours pour se concentrer sur le football.

Quant aux éducateurs, ceux-ci sont licenciés du club mais ont-ils des primes à l’image de ce que l’on peut voir dans le football professionnel ? 

En général, les éducateurs sont indemnisés de 150 à 500 euros par mois selon les catégories, suivant le nombre de séances… Après ça ne permet jamais de vivre. Je pense surtout que ça influence la volonté de trouver la pépite. S’il est bien payé, l’éducateur va être forcément moins attiré par le fait de s’en sortir grâce à un joueur qu’il va repérer. A partir du moment où l’éducateur touche 200 euros, il doit s’investir. Faire une séance, ce n’est pas juste aller sur le terrain. L’éducateur doit la préparer, mettre en place des choses différentes, ludiques… pour atteindre ses objectifs : faire progresser les enfants. Ça demande du travail. Le week-end, quand l’éducateur se déplace avec ses joueurs, toute son après-midi est prise. Même s’il est passionné, c’est un investissement. Cet investissement limiterait la recherche permanente de “la pépite”. 

Après, comme je le dis dans le livre, les clubs utilisent très mal l’argent. C’est dommage que des primes de match soient données à des seniors de niveau district plutôt que de mieux rémunérer l’éducateur. L’image de clubs amateurs et leur base de travail sont les jeunes. Si l’équipe première monte en National 2 ou National, à la limite, elle mériterait ces primes. Mais son niveau district ne changera pas la face du monde. Donc il vaut mieux utiliser l’argent autrement. Comme beaucoup d’autres choses ne bougent pas depuis quarante ans, je ne vois pas pourquoi ça changerait.

(Source : Philippe Crochat – Talent Editions)

Quand un éducateur essaie de recruter un joueur de son ancien club, il a une commission s’il devient professionnel derrière ?

Déjà, c’est un transfert à l’étranger avant la 23e année du joueur. Et non, l’éducateur ne reçoit pas de prime. Mais, la plupart des scouts ont dans leur contrat une rémunération aléatoire prise sur un futur transfert, sur une réussite. Je trouve ça anormal parce que c’est comme quand vous découvrez un brevet parce que vous avez inventé quelque chose. Le problème est de privilégier un joueur parce que le scout sait qu’il va le récupérer. C’est plus dommageable parce que quand le scout ramène un joueur, il peut dire à l’éducateur : “J’ai une prime s’il signe professionnel, on peut s’arranger ensemble, fais tout pour qu’il signe pro En U19, si t’as trois joueurs à proposer, met le dedans et on partagera la prime”.

Au niveau amateur, certains clubs se distinguent-ils par des contacts ou des relations privilégiées avec le monde professionnel ?

Logiquement, en région parisienne, beaucoup de clubs ont vu passer des joueurs devenus professionnels. Ils ont donc une bonne image. Les recruteurs y vont régulièrement. Donc un enfant recruté par ce type de club sait très bien qu’il y va aussi pour la visibilité. Quand les dirigeants de Montrouge vendent, c’est qu’ils sont partenaires de tel club professionnel et, qu’en plus, chez eux, sont passés Hatem Ben Arfa et Marvin Martin. Les enfants n’hésitent pas longtemps. Si Hatem Ben Arfa est passé par là, c’est qu’il y a moyen de réussir. Moi je travaille à Cachan où toutes les équipes sont au niveau district, je n’ai rien à vendre à un gamin à part mon propre projet. C’est aussi pour cela que ces clubs gardent une position dominante. 

L’éducateur est avant tout un pédagogue mais certaines réactions en bord de terrain ne semblent pas aller sur cette voie, comment l’expliquez-vous ?

Le manque d’humilité et de recul… La remise en question fait partie de son travail mais il est persuadé. L’éducateur ne peut pas toujours leur crier “Tu ne comprends pas ! Tu n’as pas compris ce qu’on a fait cette semaine”. Peut-être qu’à un moment, l’éducateur s’exprime mal, ses séances n’amènent pas à ce qu’il veut. Il doit donc se remettre en question. Quand un enfant rate une passe et que l’éducateur crie “Appliques toi ! On l’a fait cette semaine !”. Ce n’est pas une explication. Son travail est d’expliquer à son joueur pourquoi il a raté sa passe. L’éducateur croit-il qu’il ne fait pas exprès de s’appliquer ?

L’autre raison principale est la pression que ces éducateurs ont, malgré tout, de part leurs dirigeants. Ils leur demandent des résultats. Un match perdu est un drame donc le coach le vit mal. Les éducateurs se mettent aussi une propre pression afin de devenir visible. Je les appelle les “éducateurs Facebook”. Chaque samedi, il y a un défilé d’images avec des mecs qui disent “Super match, on a gagné 5-1” ; “Très bon plateau U9, mes gamins ont remporté 4 matchs sur 5”. Ce n’est pas parce qu’ils ont gagné que c’était bien, ni qu’ils ont pris du plaisir, ni progressé. Mais ils espèrent être repérés par le PSG, l’OL ou l’OM grâce à leur visibilité sur les réseaux sociaux. Et qu’ils vont devenir éducateurs dans ces clubs professionnels parce qu’ils ont gagné 12 plateaux U9 sur 13. Mais ce n’est pas comme ça que ça se passe. 

“Il y a du racisme sournois… Mais c’est quand même du racisme”

Justement, cette pression et leur vie personnelle, expliquent-elles pas l’impossibilité de se former voire de simplement regarder ce que font les autres ? 

(Il ironise) Non, c’est parce qu’on est français et qu’on détient la vérité, on n’a pas à apprendre des autres ! Il y a aussi le monde du travail mais je pars du principe qu’à partir du moment où vous prenez un poste à responsabilité, comme responsable technique ou président, vous vous engagez et vous savez où. Le travail ne peut pas toujours être une excuse. Ces responsables doivent aller voir les matchs et les entraînements. Ils doivent voir le travail et la progression. Ils ont un baromètre : le résultat donc pourquoi aller voir les entraînements, passer du temps avec les éducateurs se disent-ils. Les dirigeants ont juste à trouver les résultats sur Internet le dimanche soir avant d’appeler l’éducateur. 

Est-ce que les éducateurs de catégories différentes (U17, U19 et seniors par exemple) discutent entre eux au sein d’un même club ? 

Globalement non. Aujourd’hui, il y a très peu de relations dans les clubs entre les éducateurs et entre les joueurs. Un entraîneur arrive un peu avant la séance, prend ses U13, fait sa séance et s’en va. Il n’y a donc jamais de relation entre les éducateurs. Aucun ne va rester trente minutes pour regarder la séance de son collègue alors qu’il a fini la sienne. Il y a de moins en moins d’échanges. Les clubs sont devenus des lieux de consommation par les joueurs comme par les éducateurs. Ils viennent en tenue, s’entraînent et partent. En U11, à part si votre frère joue en U13, très peu vont être capables de citer 5 joueurs de la catégorie supérieure. Ce serait juste normal de se connaître, de partager des choses… Pour aller plus loin : S’ils ne sont pas obligés de venir, les éducateurs ne viennent pas tous, même lors des événements de fin de saison.

(Source : uscl.fr)

Les entraîneurs en amateur sont-ils considérés comme tels ou comme de “simples” éducateurs ?

En district, ils restent éducateurs parce que le niveau est faible et que certaines choses, notamment concernant le comportement, doivent être mises en place. Il y a de la compétition mais le résultat n’est pas l’objectif absolu. Quand un éducateur est en Nationale 2, le résultat a une importance et celui-ci doit être en rapport avec une philosophie afin qu’il ne soit pas le seul objectif du match.

Est-ce pour cela que ces entraîneurs ne peuvent pas passer le cap des championnats nationaux voire professionnels ? 

C’est du racisme sournois. On considère que les gens de la diversité, issus des quartiers, gèrent bien le football amateur dans les championnats compliqués : Nationale 2, N3, Régionale 1, R2 et R3. Les compétitions où il y a encore beaucoup de jeunes de quartiers, où parfois ça s’insulte et il faut des mecs qui tiennent la route. Au-dessus, la porte n’est pas ouverte pour eux. Mais la vérité n’est pas posée. Mais, dans plein de comportements, de décisions, il n’y a pas besoin d’être un génie pour le ressentir et pour le voir.

En termes de racisme, vous notez les nombreux clichés qui polluent le football français. Le grand noir est le joueur physique, l’arabe est le technique ingérable, quel type de joueur est le blanc ?

Le blanc est le joueur modèle. C’est celui qui respecte les consignes. Il est souvent capitaine. 

Et le latino ? 

Ça dépend lequel. Quand on prend des Argentins, souvent on va chercher la grinta, cette envie de toujours combattre. Et quand on prend des Brésiliens, c’est pour du spectacle et cette sortie du cadre : faire des différences tout en faisant le spectacle. Ces clichés, c’est ce qui se dit dans les clubs. Et c’est la pensée générale. Et moi, j’appelle ça du racisme. Quand on parle des joueurs italiens : ils sont truqueurs. Ça veut dire que tous les italiens sont truqueurs ? Je trouve ça déplorable. Mais comme ça a une connotation positive, ils sont malins, vicieux et il en faut dans le football, on ne le prend pas mal mais c’est aussi raciste que de dire que l’arabe est un joueur technique ingérable ou que le noir est un grand costaud. 

C’est le même racisme sauf que celui envers l’italien a une connotation positive. On ne cherche jamais à voir autre chose que les clichés. Dans les équipes de jeunes, l’arabe est très souvent soit milieu soit offensif. Personne ne se dit qu’il peut être intéressant au poste de latéral ou de défenseur central. Ça ne les intéresse pas parce que ça ne rentre pas dans le cliché. Le grand noir, c’est pareil, il est soit buteur soit défenseur. C’est malheureux parce qu’on passe à côté de plein de joueurs. Si je vous dis “ma génération 2004 manque un peu de puissance” vous pouvez être sûr et certains qu’ils vont me ramener 8 noirs sur 10. 

Propos recueillis par Ewen Gavet

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