Le XXe siècle reste dans l’Histoire comme celui du conflit, de la discorde, des guerres mondiales qui ont ravagé l’Europe. On la retiendra comme une période de terreur, marquée par un enchaînement sans fin de cruautés qui ont changé le visage du monde à tout jamais. Une guerre occupe forcément tous les esprits et tous les corps mais une guerre ne se déclenche pas toute seule : la horde de régimes totalitaires qui contamine l’Europe à partir du début des années 1930 entretient une atmosphère tendue sur le continent.

Une large opération de séduction démarre alors et tout est bon pour faire valoir ses idées aux yeux d’une population apeurée par ce contexte très inquiétant. Les outils de propagande ne manquent pas et la course aux partisans s’intensifie. Or, le sport et la politique entretiennent un lien étroit depuis longtemps maintenant. La liesse populaire que déclenche le sport est une aubaine pour les gouvernements en recherche permanente de soutiens. Dans le monde sportif, le football occupe évidemment une place à part : son exceptionnelle popularité en fait un moyen idéal de propagande de masse. Avec le développement du football dans les années 1930 et la naissance des tournois internationaux, les régimes totalitaire y trouvent une vitrine idéale. Se montrer, parader dans les stades et saluer les foules devient un levier privilégié pour le totalitarisme. Néanmoins, malgré un contrôle rigoureux et sans partage du sport en général par les régimes totalitaires, le football devient une tribune pour la résistance. Dans ce second volet, direction l’Italie fasciste de Mussolini où le culte du champion se mêle au football pour affirmer la supériorité du peuple italien, le tout rythmé par un mondial à la maison. Explications.

La botte italienne est connue comme cette élégante nation à l’accent chantant, à ses villes figées dans le temps et à sa gastronomie savoureuse. Un paysage idyllique qui n’a malheureusement pas toujours été terre de sûreté. Dans une période obscure de l’entre-deux guerres, l’Italie connaît la dictature fasciste instaurée par son homme providentiel, Benito Mussolini. Figure charismatique, le Duce (« guide » en italien) souhaite unifier le peuple transalpin et fait du fascisme un nouveau modèle politique. Arrivé au pouvoir en 1922 (il prend alors la fonction de Président du Conseil des Ministres), Mussolini plonge l’Italie dans un nationalisme radical dès 1925 : toutes les libertés individuelles sont suspendues. Le sport apparaît alors comme le principal levier d’action du régime fasciste pour façonner cette nouvelle Italie. L’activité physique sert à faire émerger une nouvelle génération disciplinée, forte, prête à défendre son pays ; le corps musclé apparaît comme un véritable idéal, diffusé auprès des Italiens par le biais d’une propagande intense.

Mussolini s’autoproclame « premier sportif du pays » et un véritable culte du champion est alors instauré : chaque sportif italien, toutes disciplines confondues, se doit de défendre avec honneur son pays, dans les compétitions nationales comme en dehors des frontières. L’entraînement et la préparation sportifs prennent une dimension disciplinée voire militaire où le groupe prime sur l’individu pour mener à bien la mission patriotique. Mussolini doit conquérir les foules, se montrer et s’affirmer comme le messie d’un peuple en quête d’une identité propre. Quoi de mieux que le sport le plus populaire du pays pour mener à bien une mission séduction ?

FASCISME ET FOOTBALL : LE BALLON ROND AU SERVICE DE LA PATRIE

Benito Mussolini et Leandro Arpinati.

Dans le paysage sportif italien, le football occupe une place de choix. Sport national, le Calcio (« coup de pied ») est une vitrine idéale pour une propagande de masse. Une fois au pouvoir, le régime procède à une modification profonde des structures footballistiques : Mussolini nomme Leandro Arpinati à la tête de la fédération italienne de football. Proche du Duce, Arpinati transforme le Calcio, notamment auprès des organisations sportives de jeunes puisqu’il en fait une discipline officielle des sports universitaires. Comme tout un symbole, le siège de la Fédération est déplacé de Turin à Rome pour un meilleur contrôle du régime. La création du premier championnat de football professionnel (Série A) pour la saison 1929-1930 marque l’entrée définitive du football italien dans le paysage footballistique européen : une aubaine pour Mussolini.

Afin d’affirmer encore plus l’identité du peuple italien par le football, le Duce joue avec l’histoire et l’adapte selon ses intérêts. En effet, les origines britanniques du football sont remises en cause par le régime. De fait, Mussolini met en avant une version dans laquelle le football serait en réalité né en Italie : le calcio fiorentino, un jeu de balle pratiqué d’abord à Florence durant le Moyen-Age puis à la Renaissance, est présenté comme le véritable ancêtre du football. Un moyen habile pour le régime afin de renforcer l’unité populaire autour de l’origine commune d’un sport ultra-populaire. Désormais, on ne parle plus de football mais de Calcio et la mention Football Club (FC) est remplacée par « Associazione Calcio » pour se défaire définitivement d’éventuelles origines britanniques.

La suprématie du peuple italien passe forcément par un discours nationaliste radical accompagné de mesures fortes. Le football n’échappe pas à la règle et c’est en ce sens qu’Arpinati instaure en 1926 la Charte de Viareggio dont la principale mesure est l’interdiction de joueurs étrangers au sein des équipes italiennes.

Dans l’objectif de contrôler étroitement tous les acteurs du football et de renforcement la compétitivité du championnat national, la dictature fasciste impose également des réformes au niveau des clubs. Tout d’abord, la Fiorentina voit le jour en 1926 suite à l’association des clubs de la Libertas et du Sportivo Firenze. On observe la même procédure dans la capitale romaine où, en 1927, les clubs du Fortitudo, de la Roman, du Pro Roma et de l’Alba Roma sont contraints de fusionner et ainsi donner naissance à l’AS Roma. Néanmoins, la Lazio de Rome ne prend pas part à cette fusion. C’est un haut gradé du régime fasciste, en la personne de Giorgio Vaccaro, qui permet au club de conserver son indépendance – Mussolini devient même membre du club dès 1929. Plus au nord du pays, c’est la dénomination de l’Internazionale de Milan (l’Inter Milan) qui qui n’est pas du goût des fascistes, car elle n’apparaît pas assez nationaliste. Le club nerazzurro est alors rebaptisé Societa Sportiva Ambrosiana (1928), un hommage à Ambroise, saint patron de la ville lombarde.

Enfin, le championnat national se doit d’être le plus compétitif possible afin de porter haut le football italien. Le régime agit en ce sens et permet l’intégration (forcée) en Série A de la Lazio et du Napoli, deux clubs populaires dont la présence en Série B apparaît comme une ombre au tableau. Mussolini transforme donc le paysage footballistique italien à son image et façonne un sport populaire en outil de propagande de masse. Cependant, cette nouvelle Italie doit désormais briller aux yeux du monde et le football international apparaît comme une vitrine idéale pour le régime fasciste.

1934 : UN MONDIAL POUR LE FASCISME

Affiche de la coupe du monde 1934 : le salut fasciste romain est effectué avant chaque match par les Italiens.

A partir de la fin des années 1920, Mussolini entreprend une vaste opération de construction de stades afin de répondre à l’expansion croissante du football auprès des classes populaires mais aussi pour favoriser la propagande de masse. Sept stades sortent de terre afin d’accueillir un maximum de spectateurs. Le stade Benito Mussolini est monté de toutes pièces à Turin et devient la plus grande enceinte du pays avec 70 000 places, tandis que le Stade National du Parti Fasciste à Rome est partiellement reconstruit pour devenir le symbole de l’élan sportif italien.

L’Italie constitue donc le candidat idéal pour accueillir la deuxième édition de la toute jeune Coupe du monde de la FIFA. La première édition de 1930 s’est soldée sur la victoire uruguayenne dans un tournoi assez fermé et peu enthousiasmant, où seulement quatre représentants européens étaient présents, entourés de nations américaines. Quatre ans plus tard, la compétition commence à devenir un évènement sportif international majeur : cinq continent sont désormais représentés. Arpinati convainc Mussolini du potentiel que revêt l’accueil de la Coupe du Monde pour renforcer sa propagande de masse : il obtient ainsi l’organisation du mondial pour l’Italie.

La Coupe du monde arrive donc à point nommé pour le dictateur fasciste qui saisit cette occasion d’être le centre du monde le temps d’un tournoi de football. Fort de nouvelles infrastructures et de l’engouement que suscite ce mondial, le Duce souhaite faire de ce mondial une grande fête du fascisme où la gloire de la nation italienne doit éclater aux yeux du monde entier. L’évènement connaît une médiatisation sans précédent et la propagande fasciste bat son plein. Affiches dans les rues, timbres, ballon de football sur les paquets de cigarettes : tous les moyens sont bons pour attirer les foules et rendre cet évènement unique.

L’espoir de voir l’Italie au sommet du football ne quitte pas Mussolini, d’autant plus qu’à cette époque le pays connaît un véritable essor footballistique : en effet, le Calcio, fort de sa toute jeune Série A instaurée en 1929 par Arpinati, s’affirme déjà comme un championnat majeur en Europe. La Squadra Azzura entame sa préparation à l’isolement durant un mois et demi avec à sa tête le charismatique Vittorio Pozzo. Ancien militaire et nationaliste affirmé, Pozzo incarne l’ordre et la discipline souhaitée par le régime. Il peut s’appuyer sur un brillant effectif emmené par le buteur de l’Inter Milan (Sportiva Ambrosiana à l’époque), Giuseppe Meazza. Avant-centre de génie, Meazza se mue en véritable fer de lance de l’équipe italienne. À ses cotés, l’équipe est en partie composée d’Argentins naturalisés très récemment. En effet, ils sont tous nés en Argentine, mais ce sont des oriundi, des fils d’immigrés italiens partis vivre à l’étranger. A leur arrivée en Italie dans les années 1930, l’État leur octroie la nationalité afin qu’ils puissent fouler les pelouses italiennes. Néanmoins, cela met quelque peu à mal la crédibilité de la Charte de Verragio…

Le mondial commence en trombe pour les Italiens qui giflent les États-Unis sur le score de 7 – 1. Néanmoins, la compétition est marquée par de forts soupçons de corruption et la mainmise du régime de Mussolini sur le tournoi, du fait des interventions officieuses et illégales des dignitaires fascistes qui souhaitent offrir coûte que coûte la victoire à l’Italie. Régulièrement, les autorités fascistes menacent les équipes étrangères et entretiennent une atmosphère oppressante dans les vestiaires. Le quart de finale face à l’Espagne en constitue un bon exemple. En effet, le match face à la Roja est entaché par le recours à une rare violence de la part des deux équipes : onze joueurs sont évacués sur blessure. La rencontre se termine par un match nul. Une nouvelle manche est jouée le lendemain et se solde par une victoire des locaux 1-0 : l’arbitre du match est pointé du doigt au vu du favoritisme accordé aux Italiens. En effet, en amont de chaque match de la Squadra, Mussolini organisait de petites entrevues avec les potentiels arbitres : il choisissait ensuite lui-même celui qui lui semble le plus réceptif vis-à-vis de son désir de victoire. Cette mainmise du Duce sur le mondial a d’ailleurs poussé Jules Rimet, le président de la FIFA et l’homme à l’initiative du projet de la Coupe du monde, à prononcer ces mots : « Durant cette Coupe du monde, le vrai président de la FIFA était Mussolini ».

Ainsi, l’Italie se hisse en finale après avoir battu la splendide équipe d’Autriche de Mathias Sindelar en demie et affronte la Tchécoslovaquie pour le sacre. Dans un Stade National du PNF en délire et complètement acquis à la cause du Duce, les Italiens l’emportent sur le score de 2-1 au terme d’une interminable prolongation, plongeant le pays dans une joie sans fin. Comme ce n’est pas un mondial comme les autres, Mussolini remet aux vainqueurs un imposant trophée en bronze prénommé « Coppa del Duce » en plus de l’habituelle Victoire ailée.

La une de la Stampa le lendemain de la victoire italienne face à la Tchécoslovaquie le 10 juin 1934

Le tournoi fut un réel succès pour le régime. Le parcours de l’équipe nationale a déclenché l’engouement populaire qui s’est concrétisé par des stades pleins. L’effervescence autour du football pris un réel tournant suite au titre mondial. La Squadra confirmera sa domination avec une médaille d’or aux JO de Berlin en 1936, puis avec un second sacre consécutif lors du mondial français de 1938.

La Coupe du monde de 1934 reste dans l’histoire comme celle du doute, de la suspicion de corruption alors même que la compétition met en avant les valeurs sportives les plus nobles. Elle représente finalement assez bien la gestion du football par le régime de Mussolini : la volonté clamée haut et fort de prouver la supériorité du peuple italien dans le Calcio, tout en bafouant officieusement les règles pour s’assurer un contrôle total de la victoire.

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