Le 18 avril 2021, les rumeurs circulent en ligne quant à l’union de 12 clubs européens, menant à la naissance d’une Super League européenne. Des rumeurs qui sortent la veille d’une réunion de l’UEFA qui avait pour but d’annoncer les nouveaux plans de la Ligue des Champions, et qui se concrétisent finalement au terme d’une journée de spéculation avec l’annonce collective des douze clubs, venus de quatre championnats différents, qui en dit plus sur les plans de cette ligue fermée.

A la tête du projet : Florentino Pérez, président du Real Madrid. Il annonce le lendemain sur la télévision espagnole que ce projet va sauver le football. Prônant l’argument selon lequel 40% des jeunes n’aiment pas le football (étude jusqu’alors inconnue du grand public…) il faudrait donc trouver une façon de motiver la jeune génération à suivre le sport le plus populaire du monde. Prenant la position du Robin des Bois du ballon rond, voulant redonner la passion au grand public, Pérez se met en avant comme la voix du peuple et des supporters du monde entier. Ce n’est cependant qu’une fine minorité de suiveurs de ce sport qu’il représente, chose qu’il apprendra dans les jours qui suivent lorsque les réseaux sociaux, et surtout les fans de football anglais s’unissent en barrage à la Super League. Grâce à ces derniers et l’aide du gouvernement britannique, la pression populaire poussa finalement les clubs concernés à arrêter le projet deux jours plus tard. Une nouvelle preuve que le pouvoir peut, parfois, être encore dans les mains des supporters mais également que la politique joue toujours un rôle primordial dans ce sport.

VAGUE D’OPPOSITION DIGITALE

Si vous étiez sur Twitter lors de ces journées devenues mythiques (pour les bonnes et mauvaises raisons), vous auriez vu une pluralité de contenu créé. Certains se moquaient de la participation d’Arsenal et de Tottenham, les deux clubs étant à l’époque bien loin du sommet du football européen. D’autres se moquaient de Mourinho étant le premier manager viré dans l’ère “Super League”. Cependant, l’immense majorité ridiculisait le projet, se moquait de la Super League mais surtout, chacun à son échelle et à sa manière, se révoltait contre ce que nombreux considèrent alors comme la mort du football. Les puristes diront que le football est mort avec l’arrêt Bosman, d’autres avec la nouvelle Premier League ou la nouvelle formule de la Coupe d’Europe. Il est toutefois évident que le football s’est mieux tenu que lors de cette semaine d’avril 2021. Outrés, les supporters du monde entier montraient leur rage et leur dégoût vis-à-vis du projet.

Dans une ère où le football est de plus en plus en plus mondialisé, avec des supporters de clubs anglais vivant autant à Londres qu’à Jakarta ou Séoul, il n’était que peu surprenant de voir le digital comme champ de bataille pour les amateurs de football. Évidemment, ce sont ces supporters que visaient Pérez et Agnelli, président de la Juventus, des suiveurs plus récents du sport, qui suivent grâce au streaming et aux résumés de matchs. Bien sûr c’est en partie caricaturé, et ces nouveaux supporters n’étaient pas tous pour. On peut même dire que de nombreux supporters de longue date ont soutenu le projet. Cependant, comme le dit un édito de Scouted Football, ce projet avait pour objectif de mettre de côté les « legacy fans » (ceux qui suivent depuis longtemps), tout en se concentrant sur les nouveaux marchés internationaux. Une conséquence du football business on va dire.

(Source : Demi Volée)

Il y a tout de même une vague d’opposition complète des supporters qui tiennent à leur football actuel. Les memes en ligne étaient assez révélateurs d’une certaine forme de dégoût vis-à-vis de la Super League, les tweets et posts Instagram criant au crime contre le football l’étaient d’autant plus. A l’unisson quasi-complète, les supporters, notamment au Royaume-Uni, se sont révoltés contre ce nouveau projet. Leur impact a-t-il été significatif ? Difficile à dire. Il est cependant certain que l’impact médiatique de la Super League était loin d’être positif. Pas plus soutenu par les médias, avec des figures de proue comme Gary Neville et Jamie Carragher, les clubs membres du projet ont également vu leurs supporters se tourner contre eux. Ce fut encore plus révélateur dans les heures qui suivaient l’annonce, lorsque les manifestations de rage sont venues se présenter aux grilles des stades des clubs anglais concernés.

SUPPORTERS CONTRE LA SUPER LEAGUE

Souvent applaudis mondialement et admirés pour leurs chants, les supporters de Liverpool faisaient partie des premiers à s’unir contre le projet. Avec un match à Leeds moins de 24h après l’annonce officielle de la Super League, les supporters des Reds se sont unis avec ceux de Leeds pour montrer leur mécontentement. Maillots brûlés, pancarte contre les dirigeants du club, chants pour le moins fleuris, tous les moyens sont bons pour s’exprimer. « L’amour pour le sport des classes populaires, détruits par l’avarice et la corruption. RIP LFC, merci pour les souvenirs » pouvait-on ainsi lire sur une pancarte. S’en suivront des maillots blancs lors de l’échauffement des joueurs de Leeds disant « le football appartient aux fans », un soutien dûment apprécié par les visiteurs d’Ellen Road.  

Ceci n’était qu’un avant-goût de l’union sacrée à travers le pays. Au fil des matchs de Premier League de la semaine, les supporters se présentaient devant les stades de leurs clubs respectifs. Suite à la pandémie, les habitants du Royaume-Uni avaient besoin de sortir un peu de chez eux ; ils sont venus par centaines, puis milliers à travers le pays. Londres notamment fut rempli, sous un soleil de printemps, par les cris des supporters d’Arsenal, Tottenham et enfin Chelsea. Ces derniers, mobilisés en masse à Stamford Bridge avant le match de leur équipe contre Brighton, se sont regroupés devant les barrières, empêchant alors l’accès au parking pour le bus des joueurs. C’est finalement Petr Cech, ancienne légende du club et l’un des dirigeants actuels des Blues, qui s’est présenté face aux fans pour leur expliquer que le club travaillait afin de résoudre le problème mais qu’il ne fallait pas s’en prendre à la santé des joueurs. Quelques heures plus tard, les médias annoncèrent que le club, juste après Manchester City, se retirait de la Super League, suivant la vague de contestation. Cette même vague de contestation que John Henry, actionnaire principal de Liverpool, utilisera pour argumenter que le club s’était trompé et que le projet n’aurait jamais abouti sans le soutien des fans.

(Source : ExtraTimeOnline)

Bien qu’impressionnante, la manifestation des supporters de Chelsea fut dépassée en capacité par celle aux abords de Old Trafford en préparation du choc entre Manchester United et Liverpool, deux semaines plus tard. Fumigènes, violence et chants contre les propriétaires -les Glazers -, le spectacle était au rendez-vous. Énervés par le niveau de leur équipe depuis le départ de Sir Alex Ferguson, les supporters des Red Devils se sont donc attaqués début mai aux Glazers, qu’ils tiennent pour responsables de la mauvaise gestion de leur club, qu’ils gèrent, selon la majorité des supporters, comme une une entreprise. La présence du club dans les 12 ne fut qu’une petite surprise, tel est le désamour des supporters pour les actionnaires américains. Le directeur sportif Ed Woodward avait déjà révélé, la semaine de l’annonce de la Super League, qu’il quitterait le club en fin d’année. Mais cette décision ne lui a, pour autant, pas épargné d’être l’une des cibles des supporters. Les manifestations se sont poursuivies dans le stade lorsque les supporters ont pénétrés sur le terrain du “Théâtre des Rêves”. Présent pour Sky Sports, Gary Neville a entièrement soutenu ce mouvement, lui qui jouait encore lorsque les actionnaires sont arrivés au club. La tension était palpable, la défiance des supporters avec la sécurité bien présente, mais la manifestation en grande partie pacifique n’a eu que peu d’effet sur la gestion du club depuis. Cela n’empêche pas d’avoir pu découvrir un peu plus l’opinion des supporters anglais à travers le pays. C’est ensemble qu’ils ont pu arrêter le projet dès ses premières heures. Ils ne sont cependant pas les seuls à avoir joué un rôle dans l’opposition aux clubs membres du projet élitiste.

INSTANCES DE FOOTBALL ET GOUVERNEMENT MAIN DANS LA MAIN

Le président de l’UEFA Aleksander Čeferin a été particulièrement mis en lumière lors de ces événements. Il apparaît évident qu’il, et plus généralement l’UEFA, que nombreux considèrent tout de même comme les tueurs du football que l’on connaît, ont eu un rôle primordial dans l’arrêt de la Super League. Bien que les clubs se soient tous retirés d’instances telles que l’ECA (l’association européenne des clubs, jusqu’ici dirigée par le président de la Juventus de Turin Andrea Agnelli) ou même l’UEFA, l’instance européenne et la FIFA conservaient néanmoins un pouvoir non-négligeable sur les clubs et les joueurs.

Il faut cependant souligner le rôle joué par Boris Johnson et Oliver Dowden. Le Premier Ministre britannique et son secrétaire du Digital, de la Culture, des Médias et du Sport étaient particulièrement actifs lors de cette semaine d’avril. Le Prince William s’est aussi exprimé lors des premières heures de la Super League, mais son pouvoir royal n’avait que très peu d’influence, bien qu’il soit également président honorifique de la FA anglaise. Boris Johnson s’est assez rapidement entretenu avec le PDG de la Premier League, Richard Masters, pour lui signifier qu’il était prêt à faire passer une législation afin d’empêcher que ce genre de choses ne se reproduise. Un message qu’a fait passer Richard Masters aux 14 clubs anglais du championnat qui n’étaient pas membres de la Super League.

Oliver Dowden (Source : The Stage)

Boris Johnson publie notamment le 18 avril un message sur Twitter pour dire que la Super League ferait particulièrement mal au football et qu’il soutient les instances voulant sanctionner les clubs membres. Le plus important vient ensuite lorsqu’il dit que ce projet touchera au cœur du football local et serait inquiétant pour tous les fans du pays. « Les clubs membres doivent s’expliquer avec leurs supporters et la communauté football plus globale avant de prendre d’autres pas » termine-t-il. C’est l’un des rares dirigeants politiques qui s’est exprimé sur le sujet.

Son ministre des Sports, Dowden, s’est lui contenté d’un rôle en coulisses mais tout aussi important. Il a ainsi promis une investigation pour les 6 clubs membres afin de comprendre leurs actions. Sa réponse au projet, mise en ligne sur le site du gouvernement britannique, est, elle aussi, clinique et sans appel : « Nous avons inventé ce sport, nous l’avons exporté mondialement et cela fait partie intégrante de la culture britannique » démarre-t-il. Contestant l’idée selon laquelle le football business devient de plus en plus important, il condamne totalement l’action prise par les clubs concernés. « C’était une décision à l’aveugle, mais les dirigeants ne pourront pas échapper à la fureur universelle de la communauté générale du football ces dernières 24 heures », ajoute-il. Il conclue en défendant les institutions et les traditions du pays, et notamment l’importance des supporters dans ce sport. Lui, comme son Premier Ministre, furent très véhéments contre le projet mais surtout particulièrement déçus avec les clubs anglais, de vrais monuments de la culture britannique.

(Source : Flickr)

En soutenant le parti pris par les supporters, le gouvernement britannique était, pour l’une des rares fois au cours des derniers mois, en union avec son peuple, au moins une partie de celui-ci. Emmanuel Macron et son gouvernement ont été beaucoup moins vocaux, mais se sont tout de même exprimés contre le projet en soutenant les instances nationales et continentales contre ce projet. Ils souffrent un peu de la comparaison face au pays inventeur du football, mais il faut avouer qu’avec un président du PSG farouchement opposé à cette Super League et l’absence de club français dans ce projet, cela n’est que peu surprenant.

Il fait peu de doute que la pression populaire des supporters dans les rues a eu un grand effet dans le processus d’annulation du projet de Super League. Mais le soutien politique de Boris Johnson et son gouvernement a sûrement eu un effet décisif, notamment quant à de possibles sanctions visant les clubs membres de ce tout nouveau dispositif. Les instances de football ont fait de leur mieux, mais un certain romantisme en nous peut croire à nouveau au pouvoir des supporters lors de cette période de crise, encore plus lorsque l’on voit l’impact qu’a pu avoir leur absence au cours de la pandémie. Le football appartient aux supporters, dans le fond plus que sur la forme. C’est encore plus visible au pays qui a apporté le ballon rond au monde et qui continue, chaque week-end, de vibrer pour les équipes historiques, de la Premier League au plus bas de la pyramide footballistique du pays.

Tendances

Propulsé par WordPress.com.

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer