Ce mercredi 30 mars, une conférence sur la lutte contre l’antisémitisme dans le football allemand a réuni les acteurs majeurs du football allemand au Signal Iduna Park. Dans l’antre du Borussia Dortmund, les responsables des clubs de Bundesliga et Bundesliga 2 ont rencontré des personnalités politiques allemandes, des représentants de la ligue et des membres du World Jewish Congress et du Central Council of Jews in Germany.

« Nous sommes plus qu’un simple club de football, nous avons le devoir de prendre nos responsabilités sur ces questions sociales, notamment sur le terrain », a assuré Cartsen Cramer, co-directeur général du club de la Ruhr, lors de sa prise de parole. Si le reste de la conférence a tenu, en grande majorité, à du verbiage, tous les experts y ont souligné l’importance d’une action commune de ces différentes acteurs avec les supporters.

Ce n’est pas un hasard si la conférence a lieu à Dortmund. Le club fait depuis quelques années déjà figure de patou à ce sujet en Allemagne. Pour ses supporters et employés du club, le club organise des voyages de sensibilisation, par exemple dans les camps de concentration en Pologne. Le BVB, avec Feyenoord, a également participé activement à la tenue de la conférence et du projet « Changing the Chants« , dont l’objectif est de sensibiliser les supporters aux comportements antisémites dans les tribunes. Ces actions répondent à un passif douloureux du club, dont l’image a été meurtrie par des supporters d’extrême-droite proches ou appartenant à des cercles néo-nazis.

« Build a tram from Gelsenkirchen to Auschwitz »

« Dans les années 1980 et au début des années 1990, les groupes de hooligans ont dominé les tribunes allemandes, non pas en quantité, mais ils étaient plus visibles en raison de leur comportement. Une majorité de ces groupes étaient adeptes des idées portées par la droite. Le Borussen Front (à Dortmund) est l’un des exemples les plus extrêmes de ces groupes », rembobine Christian Brandt, doctorant à l’Université de Bayreuth (Allemagne) et auteur de l’ouvrage Football Fans, Rivalry and Cooperation.

Si cette radicalité a pu s’imposer par des actes et s’ancrer dans la mémoire collective, Christian Brandt y voit pour raison « l’absence de structures formelles, typiques de ces groupes, qui encourage l’établissement de structures informelles, basées sur l’influence et le pouvoir ». Dans le cas des hooligans, ce pouvoir, éminemment physique, « renvoie à la violence physique et verbale ».

Cette double violence persiste aujourd’hui. La banalisation de l’antisémitisme a fait des juifs un medium servant à la moquerie, comme la transformation de l’écusson du Werder en une étoile de David ou des stickers représentant Anne Frank avec le maillot de Schalke au Signal Iduna Park. Ce climat est propice aux déversements de haine visant directement des clubs israéliens ou d’héritage juif, comme les chants « Synagogen müssen brennen », soit « les synagogues doivent brûler » par certains supporters néo-nazis d’Alt-Glienicke contre ceux du Makkabi Berlin ou plus récemment les insultes antisémites proférées par des supporters de l’Union Berlin, lors d’un match de Conference League contre le club du Maccabi Haifa.

À Dortmund, en 2016, deux supporters ont été condamnés à payer une amende de 5 400 euros pour incitation à la haine. Ils avaient chanté, lors d’un match contre Mayence en 2014, « Eine U-Bahn, eine U-Bahn bauen wir, von Jerusalem bis nach Auschwitz, eine U-Bahn bauen wir! », rapporte la radio allemande Deutschlandfunk, soit « un métro, nous construisons un métro de Jérusalem à Auschwitz, un métro nous construisons ».

La « chanson du metro », exemple de la banalisation

Comme le souligne la radio, cette chanson, renommée « chanson du métro » est amovible et la mention Jérusalem peut parfois être remplacée par la ville du club rival des supporters la chantant. Lors de leur défense, les deux hommes, tous deux quarantenaires, invoquent alors la plaisanterie, d’un chant visant uniquement les supporters adverses. Le terme «  juif » étant devenu « l’ultime rejet » et une manière de « provoquer l’adversaire », écrit le chroniquer Von Ronny Blaschke, toujours pour Deutschlandfunk.

Un rapport publié en décembre 2020 cible explicitement le rôle des rivalités dans la propagation de l’antisémitisme. « Une partie des supporters profite de ce qui se passe dans le stade pour tenir des propos discriminatoires. Le schéma ami/ennemi peut renforcer les préjugés. »

Pour Caillera, ces incidents représentent tout simplement “une composante visible de l’antisémitisme profondément ancré dans la société allemande », écrit le groupe de supporter du Werder Breme, en 2013, dans un communiqué. 

« Les supporters font aussi partie de la solution »

Toutefois, selon le chercheur Pavel Brunnsen : « Les supporters ne sont pas seulement une partie du problème : ils font aussi partie de la solution ». Ajoutant : « Dans les années 80, lorsque les hooligans dominaient les stades allemands, l’antisémitisme était une chose presque normalisée. Mais, depuis les années 2000, de nombreux ultras ont pris position contre l’antisémitisme ».

Le rôle de conférences comme celle organisée au Signal Iduna Park ou les actions de sensibilisation menées par les clubs et associations y ont une importante responsabilité, souligne Brandt. Depuis 2003 déjà, la Amadeu Antonio Foundation organise des “semaines d’action contre l’antisémitisme”, en mettant en place des campagnes publics de sensibilisation. De nombreux projets ont une visée préventive, comme « Wer gegen wen? Gewalt, Ausgrenzung und das Stereotyp ‚Jude’ im Fußball » soit « Qui contre qui ? Violence, exclusion et le stéréotype ‘juif’ dans le football ». Pour les clubs, le 31 mars 2021, la ministre de la Justice Barbara Havliza et le commissaire à l’antisémitisme Dr. Franz Rainer Enste ont remis un guide sur l’antisémitisme dans le football. 

Pour contrer la montée du parti d’extreme-droite AfD aux différentes élections depuis sa création en 2013, plusieurs dirigeants ou entraineurs se sont engagés. Loin de l’apolitisme recommandé par le coach d’alors de Leipzig, Ralf Rangnick, Hubertus Hess-Grunewald glisse, en 2018, qu’il est « contradictoire de supporter le Werder Breme (dont il est le directeur général) et les idées de l’AfD ». Le président de l’Eintracht Francfort, Peter Fischer, était allé plus loin en s’exclamant : « Tant que je serai là, il n’y aura pas de place pour les nazis ici », à la radio Hessicher Rundfunk.

« Une orientation politique différente » pour les groupes d’ultras émergents

Certains groupes de supporters participent à cette lutte, dans les tribunes, par le biais de banderoles, dont celle du groupe Caillera du Werder : « Les fans de football contre l’antisémitisme ». En réaction à un attentat perpétré par un extrêmiste de droite à Halle-sur-Saale en 2019, les Red Aces de Leipzig ou les Coloniacs de Cologne tendront deux banderoles quelques jours après lors d’un match disant “stop au terrorisme d’extrême droite” et s’opposant à “toutes les formes de racisme et d’antisémitisme”.

« Les groupes ultras émergents montrent surtout une orientation politique différente. Je les qualifierais de plus traditionnels ou d’humanistes. Ces groupes rejettent certaines pratiques et opinions politiques des hooligans. Ils ont également commencé à s’engager pour les intérêts des supporters liés à la commercialisation croissante du football », souligne Christian Brandt.

Néanmoins, « les anciens groupes de hooligans existent toujours et dans différentes villes », regrette néanmoins le chercheur. En effet, des banderoles et chants à la gloire de néo-nazis ou la résurgence d’ultra se proclamant du Borussen Front, censé être dissous, plusieurs actes et symboles rappellent que le problème est loin d’être réglé. Le combat continue.

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