Unique équipe provenant d’ex-Allemagne de l’Est à avoir connu l’élite allemande, l’Union Berlin est engagée cette saison en Europa League, seulement trois ans après leur montée en Bundesliga. Sans palmarès aucun, ce club singulier et atypique du football allemand possède cependant une histoire et une identité sociale forte, notamment avec ses supporters. Biographie d’un club pas comme les autres.

A la sortie de la Grande Guerre, l’Allemagne est déchirée entre communisme et capitalisme. Comme sous le régime nazi 10 ans plus tôt, les clubs de sport, et en particulier les clubs de foot, deviennent des vecteurs privilégiés de propagande pour le gouvernement. Après la partition militaire de Berlin en 1949, certains joueurs choisissent de passer à l’Ouest avant l’apparition du mur en 1661, ce qui entraîne la restructuration des clubs berlinois. Le FC Olympia Öberschöneweide, club de quartier né en 1906, voit une partie de ses joueurs partir et se restructure. Finalement, sous le contrôle de la Stasi le 1. Fuβballclub Union Berlin e.V. , voit le jour le 20 janvier 1966, cinq ans après l’érection du Mur. Alors situé dans le quartier de Köpenick (fusionné aujourd’hui à Treptow), à Berlin-Est et sous régie soviétique, l’Union Berlin évolue dans le championnat de RDA, aux côtés de son voisin et plus grand rival historique, le Dynamo Berlin. Ce dernier est largement soutenu par le gouvernement communiste et, par extension, par la Stasi, la police d’état.

Qui dit soutient de haut lieu, dit argent et transferts arrangés en sa faveur, les miettes iront aux autres. Le recrutement est largement facilité : repérer, demander et rafler tous les meilleurs joueurs du championnat. L’Union Berlin, championne de RDA en 1968 est orpheline de ses rares pépites, peine à se maintenir et évite la relégation de justesse à plusieurs reprises. Le petit club évolue dans l’ombre du Dynamo et fait face à de multiples intimidations de la Stasi, qui n’hésite pas à lui rappeler sa hiérarchie sportive. Sur la pelouse, les résultats sportifs de l’Union sont scrutés et muselés, comme tous les clubs qui n’ont pas la faveur du gouvernement. Alors la légende de ce club va naître autre part. Implanté dans un quartier ouvrier et populaire, le club a été fondé pour offrir aux travailleurs modestes un divertissement et un lieu de rencontre . De ce simple divertissement s’est nouée une relation fusionnelle entre les supporters et ce club… leur club. Car oui, l’Union Berlin a été créée pour eux et sera à jamais à eux. L’Union Berlin, c’est une grande famille, soudée et habitée par la volonté de résister en face des grands.

RÉUNIFICATION ET DUR RETOUR À LA RÉALITÉ À L’EST

Enclavé au sein du territoire communiste, le stade de l’Union, An der Alte Försterei (la vieille maison forestière) devient une forteresse symbolique de fraternité et de résistance. Ce club affiche ses valeurs prolétariennes fièrement depuis ses débuts. Dans les tribunes, plus de politique, plus d’échelle sociale, plus de distinction. Les gens cherchent un endroit où ils sont considérés comme une grande famille, plus comme des foyers distincts de consommateurs. De cette fraternelle proximité naît une opposition contre le système communiste qui dirigeaient à la baguette la vie des berlinois de l’Est. Du moins, en dehors de l’antre rouge et jaune. Les « Die Mauer muss weg ! » (« le mur doit partir ! ») résonnent ironiquement au moment des coups-francs. Les chants des « Eiserne » (ce surnom, qui renvoie au fer, vient de la couleur de la tunique des joueurs d’Öberschöneweide dans les années 1910) retentissent avec clameur et courage, les paroles provocatrices et insolentes s’adressaient entre autres à la Stasi et au Dynamo Berlin. Même dans les pires moments, même sous la pluie, même avec des défaites qui s’accumulent et des points qui peinent à venir, les fidèles « Eiserne » n’ont jamais délaissé leur stade et leurs joueurs. Tous les week-ends et dans tous les stades, ils hurlent leur liberté de penser. Leur hymne historique « Eisern Union« , a d’ailleurs été enregistré par l’icône punk est-allemande des années 1990 Nina Hagen. Pas mal comme symbole ?  « Nous, de l’Est, allons toujours de l’avant ! Nous nous serrons les coudes pour l’Union ! Les temps sont durs mais l’équipe est dure. C’est pourquoi nous gagnons avec l’Union ! »

Dès la chute du mur en 1989, on assiste à une migration massive des talents (Andreas Thom, Thomas Doll, Rainer Ernst…) vers l’Ouest, notamment en quête de salaires monstrueusement plus attractifs. A l’issue de la saison 1990-1991, qui voit le FC Kaiserslautern être titré pour la 3e fois de son histoire, la Bundesliga (championnat de l’Ouest) doit accueillir en son sein les club de la DDR-Oberliga, le championnat de l’Est. Mais le niveau du premier est bien plus élevé que celui du second (le Bayern Münich remporte la LDC en 74, 75 et 76 tandis que la RFA est championne du monde en 1954, 1974 et 1990). Le mélange des deux championnats est donc établi avec beaucoup de tact, selon la règle dite « des 2+6 » : deux clubs (le Dynamo Dresde, le meilleur club de l’est, aujourd’hui 3. Bundesliga, et le Hansa Rostock, aujourd’hui 2. Bundesliga) intègrent la Bundesliga tandis que six autres ont le droit de concourir en deuxième division. Tous les autres clubs de l’Est, y compris les 8 professionnels restants de l’Oberliga, sont relégués dans les divisions inférieures, souvent régionales, à l’image de l’Union Berlin. Le début d’un long calvaire pour le foot est-allemand et l’Union, qui venait pourtant d’intégrer le cercle des clubs professionnels à l’Est.

La rencontre des deux Allemagnes est un choc de deux civilisations, n’ayant pas évolué à la même vitesse. A l’instar de beaucoup de pans de la société ex-communiste, ce sont tous les clubs sportifs de la RDA qui dégustent, si ce n’est disparaissent. Le passage d’un système économique planifié à un système libéral n’était pas prévu et les entreprises d’Allemagne de l’Est sont les premières impactées. Les clubs de foot ne peuvent plus compter sur le soutien de l’Etat et découvrent les joies du foot sous régime capitaliste. Orphelins de sponsors, pas habitués au marketing sportif ou aux contrats d’affiliation, les clubs sont à la recherche de financements actifs, financement que les entreprises est-allemandes ne peuvent plus assumer. Les clubs d’ex-RDA peinent à trouver des ressources ou des sponsors. Le management est diamétralement opposé et l’adaptation à l’Est est compliquée. Gérer son budget avec l’apparition des sommes colossales ou réaliser des transferts rentables sur un marché inconnu est tout simplement impossible. De nombreux clubs doivent accepter la faillite financière. L’arrêt Bosman de 1995, synonyme de libéralisation quasi-totale du football européen, vient assommer une dernière fois le football est-allemand.

« AU FOND DU TROU, IL N’Y A QUE LES VRAIS QUI RESTENT AUTOUR »

Pour raisons financières, la montée en 2. Bundesliga est refusée à l’Union à l’issue du tour de promotion, en 1993 et 1994. Durant la dernière décennie du siècle, le club évolue dans le championnat régional du nord-est du pays. L’Union arrive à se redresser, à rebâtir un projet et atteint finalement la deuxième division en 2001. Malgré une période sportive remplie de succès avec notamment une finale de coupe d’Allemagne en 2001, la santé économique du club berlinois ne lui permet pas de subsister au niveau professionnel. En 2003, l’Union ne peut éviter la relégation en troisième division, descente qui sonne comme le début d’une longue agonie. Victime de sérieux problèmes financiers, le club ne pourra pas assumer les frais d’inscription auprès de la Ligue pour la saison 2004/2005 : le club est en faillite, au bord de baisser le rideau, comme la majorité de ses congénaires est-allemand . Mais les Eiserne ne sont pas décidés à regarder leur navire couler et vont lancer Bluten für Union (saigner pour l’Union), une opération aussi inédite que révélatrice du lien particulier des supporters envers leur club. Le don de sang étant rémunéré en Allemagne (environ 20 euros le prélèvement), les supporters sont allés en masse dans les hôpitaux berlinois et ont héroïquement rempli les caisses du club grâce à cette double générosité. Respect.

L’Union a même risqué de perdre sa licence en 2008 lorsqu’un bout de ses tribunes s’est effondré et que le club n’avait pas les fonds nécessaires aux rénovations. Un mot, un geste, les Eiserne font le reste. 2 500 supporters rouge et jaune ont effectué 140 000 heures de travail pour reconstruire le stade. Leur stade. « Ils se sont rachetés au bord du gouffre et ont reconstruit leur propre stade. Vous pouvez le ressentir lorsque vous y allez. Il leur appartient, et à personne d’autre », a déclaré le journaliste allemand Jacob Sweetman pour la BBC. Leur stade était leur mairie symbolique pendant la guerre froide et est depuis 20 ans leur salle des fêtes. On s’explique. Nous sommes en plein hiver 2003. L’Union Berlin enchaine les défaites et est enfoncée dans les tréfonds du classement de 2 Bundesliga (elle va même être reléguée à l’issue de cette saison en championnat régional), l’ambiance est au plus bas et une déprime générale règne à Köpenick, si bien que le soir du 17 décembre, après la défaite face à Wacker Burghausen, les supporters s’en vont rapidement du stade regagner leur plus chaleureux foyer. Ayant à peine eu le temps de se souhaiter de bonnes vacances, une centaine de fidèles s’est réunie sur la pelouse, le soir du 23 décembre, avec soupe, vin chaud et surtout chants, pour se souhaiter Joyeux Noël. La tradition perdure chaque 23 décembre depuis dans « la vieille maison forestière » qui se mue en salle des fêtes pour l’occasion.

Après des années de yoyo entre les divisions, l’Union Berlin s’est solidement trouvé une place en 2. Bundesliga entre 2010 et 2018 avant de connaître une accession historique dans l’élite allemande. 27 mai 2019, match retour de barrage, à domicile, dans l’antre de An der Alten Försterei. 2-2 à l’aller à la Mercedes-Benz Arena de Stuttgart. L’Union reste fidèle à sa philosophie de jeu et n’encaissera aucun but. Elle n’en marquera pas non plus, 0-0 score final. Sans briller, mais l’objectif était tout autre, le technicien suisse Urs Fischer, sur le banc des Eiserne depuis seulement 2 saisons, propulse le club dans une nouvelle dimension : la Bundesliga 1. « Ne Scheisse, wir steigen auf ! » (« Oh merde, on va monter ») chantent les supporters, aussi ravis qu’inquiets pour la conservation des valeurs de l’Union au sein de l’élite. Pour la première fois de l’histoire, un club de RDA accède à l’élite. Une première saison conclue à une solide 10e place) puis la confirmation. Dans un football allemand largement porté vers l’avant, l’Union aime ne pas faire comme les autres. Solidité défensive est le maître mot. Quinzième attaque du championnat avec seulement 41 buts marqués en 2019-2020, Urs Fischer reste fidèle à son projet de jeu et l’Union termine l’exercice 2020-2021 à la 7e place, significative d’une qualification européenne.

Conference League en 2021 puis Europa League en 2022, récompense d’une troisième saison dans l’élite, conclue à la cinquième place. Et si le poids sportif de l’Union Berlin devenait enfin proportionnel à son fantastique héritage historique ?

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