Avec 1 248 rencontres professionnelles disputées et dirigées, Claude Puel n’est autre que le recordman français de l’exercice. Il se confie sur une vie marquée par le ballon rond dans son autobiographie : Libre, 50 ans de football (Éditions Solar) Pour La Causerie, il a accepté de revenir sur le développement des jeunes joueurs, un pan majeur de sa carrière de coach.

(Source : Icon Sport)

Lors de votre carrière de joueur à l’AS Monaco, vous étiez souvent dépeint comme un milieu défensif rugueux. Aviez-vous déjà une sensibilité pour le « beau jeu » ou est-ce arrivé au moment de passer sur le banc ?

J’ai joué avec mes qualités mais disons que j’ai toujours eu le privilège d’évoluer avec de très bons joueurs, beaucoup d’internationaux. On jouait systématiquement les trois premières places du championnat. J’étais habitué à jouer dans de belles équipes avec des partenaires aux superbes profils. Ça m’a toujours interpellé et je pense que ça vient de là.

Comment le transpose-t-on en tant qu’entraîneur ?

C’est quelque chose qui me paraît normal. Il faut s’adapter aux joueurs qu’on entraîne, où l’on évolue, dans quelles conditions… Une fois qu’on connaît tout cela, c’est du travail à l’entraînement pour mettre en place ce qu’on voulait. À Monaco, j’ai eu le privilège de commencer avec un groupe très jeune mais extrêmement talentueux et on a terminé champion dès la première saison complète.

À Lille, ensuite, les moyens n’étaient pas du tout les mêmes. On avait l’avant-dernier budget de Ligue 1 mais c’était inconcevable de ne jouer que le maintien. C’est ce qu’on a fait pendant deux ans mais on a préparé et recruté certains profils pour terminer deuxième puis troisième du championnat. C’est une volonté de performer avec un certain style. Il faut se donner le temps qu’il faut pour y arriver et nous avons donné la preuve qu’il est possible de bâtir une équipe compétitive capable de jouer le haut niveau en championnat et même la coupe d’Europe.

Vos plus belles expériences sont-elles celles sur le long terme à Lille et Nice ?

Pas obligatoirement. À l’époque, ça m’intéressait de partir de bas – voire de très bas – pour s’élever. C’est quelque chose de noble, je ne suis pas carriériste. Après, partout où je suis passé, j’ai essayé de faire des choses semblables même lorsque les objectifs étaient plus hauts. À Lyon, par exemple, les trois saisons ont été intéressantes. Même la troisième au vu du contexte avec le retour de la Coupe du monde et l’environnement dans lequel j’ai été lâché à partir d’un moment. C’est intéressant en tant qu’entraîneur de tenter de rester dans les clous malgré la marge fine en terminant finalement sur le podium. Ça a été formateur de vivre cette expérience, qui est, pour moi, réussie malgré ce qui peut en être dit de l’extérieur.


« Pour un joueur comme Eden Hazard, il n’y a pas beaucoup de développement »


Au cours du livre, vous utilisez plusieurs fois l’expression « entraîneur bâtisseur », quelles sont les caractéristiques principales pour remplir ce rôle ?

Je ne me définis pas tellement comme ça, c’est plutôt ce qu’on dit de moi. Je pense que je suis simplement entraîneur. À Lille ou Nice, il y avait ce côté bâtisseur parce que je partais de zéro mais, même à Lyon ou Leicester, j’ai toujours eu la volonté de développer mes joueurs. Développer le club également, avec le staff ou les structures.

Rien n’est définitif et tous les joueurs continuent à apprendre même après leurs 30 ans. Ils veulent toujours être là, toujours évoluer pour être au niveau. Moi, en tant qu’entraîneur, je suis là pour donner, pour développer. Je préfère la notion de développement plutôt que de bâtisseur.

Les exemples de Karim Benzema, Hatem Ben Arfa ou Virgil Van Dijk montrent une facette de pédagogue. C’est primordial pour développer un joueur ?

Il faut être pédagogue même si cela dépend du profil de l’entraîneur. Pour certains, c’est important de ne se focaliser que sur le résultat et sur l’utilisation du joueur dans la recherche de performance. J’ai toujours préféré développer le joueur pour qu’il rentre dans la structure et pour aider le collectif. Ça me semble normal car je considère que, en étant salarié du club, je suis là pour le servir, améliorer l’équipe et essayer de laisser le club compétitif après mon départ. Même si je ne prends pas tout sur l’instant, ceux qui arrivent derrière ne regrettent pas ce développement en amont.

(Source : BeIN Sports)

Parmi les joueurs que vous avez entraînés, certains ont dû s’adapter à un nouveau poste ou rôle. Pourquoi une telle demande ?

Il y a beaucoup de joueurs que j’ai fait évoluer en les changeant de poste. Jérémy Toulalan avait déjà un très bon niveau au milieu de terrain mais je trouvais qu’il avait quelques particularités pour jouer défenseur central. À part lui, pour la majorité, cela a été fait pour les rendre meilleurs. Mathieu Debuchy, par exemple, a été formé en tant que milieu défensif mais quand je l’ai pris à la réserve du LOSC, je l’ai fait passer milieu droit avec beaucoup de travail sur les débordements, centres, prises de balle, etc. Une fois que tout cela a été acquis, je lui ai dit : « Si tu veux aller encore plus haut, dans un meilleur club et pourquoi pas en équipe de France, tu peux reculer d’un cran car tu garderas ces qualités offensives en les combinant avec celles défensives que tu avais lors de ta formation. » Il était réticent au début mais il est devenu international et a joué à Arsenal. C’est toujours pour bonifier la qualité d’un joueur que je le change de poste. J’ai aussi changé Jordan Amavi de poste à Nice. Il était ailier et je pense qu’il n’avait pas les qualités pour s’inscrire au haut niveau. D’ailleurs, le directeur du centre de formation ne voulait pas le faire signer professionnel. Il allait très vite donc j’ai décidé de le reculer latéral et ça s’est révélé être un bon choix.

Pour ce qui est du rôle, il y a l’exemple de Virgil Van Dijk puisqu’il avait été formé à ne défendre que dans sa surface. Il était excellent pour ça mais n’utilisait donc pas toutes sa palette. À Southampton, nous jouions avec un bloc haut donc je lui ai montré des DVD de certains défenseurs comme ceux du Barça de Guardiola. Même s’ils n’étaient pas les plus rapides, Puyol et Busquets acceptaient de jouer avec 50 mètres dans leur dos car ils savaient se placer. Virgil a dû faire des efforts mais c’est devenu l’un voire le meilleur défenseur du monde aujourd’hui.

90 joueurs ont découvert la Ligue 1 ou la Premier League sous vos ordres. Ça représente quoi pour vous un tel chiffre ?

C’est pour ça que j’en parle car on l’oublie un peu souvent. Ce n’est pas le fait de les faire débuter qui compte. Tout le monde est en capacité de le faire. C’est surtout de les développer. À travers tous ces joueurs, l’important est de voir ce qu’ils font derrière. Il y a beaucoup de travail spécifique, de vidéo, il faut être patient. Certains étaient en marge du football, en train de passer à côté. On les a découvert et on leur a permis de s’exprimer au haut niveau. C’est plus ça qui m’intéresse que de dire que j’ai fait débuter énormément de joueurs.

Quels sont ceux qui étaient vraiment en avance sur leur âge ?

Avec quelqu’un comme Eden Hazard, il n’y a pas beaucoup de développement. Il n’avait que 16 ans et demi quand il a débuté. À ce moment-là, il faut seulement l’accompagner, essayer de ne pas le déformer. Karim Benzema aussi a été très précoce. C’est un véritable privilège de pouvoir entraîner des joueurs au talent inné.


« C’est plus difficile de développer un joueur aujourd’hui »


Vous disiez que « rien n’est définitif ». Comment fait-on comprendre à un joueur talentueux très tôt qu’il faut continuer de travailler ? Surtout quand il a un gros caractère comme David Trezeguet.

Il faut rester très vigilant avec ces joueurs-là. La vigilance peut s’exercer de différentes manières suivant le profil du joueur comme des discussions, du travail vidéo ou du travail à l’entraînement. S’il y a des problèmes au niveau du comportement, il ne faut pas laisser passer sinon on laisse la porte ouverte. Vous parlez de Trezeguet mais j’évoque aussi le cas d’Eric Abidal dans le livre. Il voulait quitter Lille pour rejoindre Paris. Je l’ai forcé à rester au club pour deux raisons : il n’était pas encore prêt en vue d’une carrière et il devait au club au moins une saison supplémentaire par respect. Finalement, il est resté et on connaît la carrière qu’il a eu ensuite.

En 50 ans de football, comment ressentez-vous l’évolution de la formation française, vous qui êtes d’abord passés par le centre monégasque puis qui avez lancé des jeunes joueurs dans chaque club ?

Le football continue d’évoluer au gré de la société. Les joueurs et leur entourage aussi. Les méthodes des centres de formation se doivent donc d’évoluer également pour continuer d’être performant. Cela passe d’abord par le sportif avec l’étoffement des staffs ou la diversification des entraînements mais aussi de l’extrasportif avec tous les modes de financement possibles. L’entraîneur doit s’adapter à tout cela tout en gardant son style et ses préceptes propres pour inscrire le joueur dans un collectif. 

C’est plus difficile de développer un joueur en 2022 qu’il y a vingt ans ?

Oui, c’est plus difficile de développer un joueur aujourd’hui. Tout a changé. À commencer par l’aspect médiatique. L’entourage a évolué mais il y a surtout l’apparition des réseaux sociaux. Ça rend le métier difficile pour l’entraîneur mais également pour le joueur. Il ne faut pas l’oublier. Le niveau général s’améliore toujours. Quand je vois la qualité des matchs de Ligue des Champions, notamment en phase finale, je trouve ça assez extraordinaire. C’est une perpétuelle évolution mais l’entraîneur se doit d’anticiper. C’est ce que font les meilleurs à l’image de Pep Guardiola. Avoir un temps d’avance leur permet de se maintenir au plus haut niveau.

(Source : Icon Sport)

Dans le podcast 11ème art, vous évoquez le fait que certains joueurs au niveau amateur pouvaient être aussi bons en professionnel. Est-ce une nécessité d’aller voir ailleurs ?

Dernièrement, il y a les exemples Jean-Philippe Krasso (Epinal) et Yvan Neyou (Braga) avec l’AS Saint-Etienne. Mais, j’ai essayé de développer des joueurs pas forcément visibles dans tous les clubs. Eric Abidal et Adil Rami étaient en troisième division puis sont devenus internationaux. On prenait des joueurs avec certaines qualités en essayant d’en développer d’autres afin qu’ils atteignent un niveau plus élevé.

Il leur manquait la rencontre d’un entraîneur pour passer ce palier ?

Une carrière de joueur n’est jamais linéaire donc je ne sais pas s’il suffit vraiment d’une rencontre. Je pense surtout que lorsque les coachs sont mis sous pression par les résultats, ils regardent des profils qui doivent être rapidement opérationnels. Ils ne veulent pas perdre de temps à former des joueurs de divisions inférieures sans être sûrs d’avoir un résultat. 

On parlait de l’importance du long terme et on sait que certaines de vos expériences ont été difficiles psychologiquement avec les dirigeants ou les supporters. Le poste de DTN est peut-être davantage dans l’ombre mais conserve un impact considérable. Ça ne vous tente toujours pas ?

Non, je suis un homme de terrain ! Si je reprends de l’activité, c’est sur le terrain. Il faut maintenant définir si ça sera un club ou une sélection. Je ne me vois pas faire de la bureaucratie, faire des réunions, discuter avec les présidents des clubs, etc.

Reprendre un banc en France donc ?

En Europe plutôt. Si possible un club avec des ambitions. J’éviterai de reprendre un club comme lors de ma dernière expérience (à Saint-Etienne) car certains contextes ne sont pas propices à la réussite et il faut énormément d’investissement, de travail, sans pour autant recevoir de la compréhension. À mon âge, je ne veux plus de ce genre de situations.

(Source : Editions Solar)


Claude Puel : Libre, 50 ans de football (Éditions Solar) est disponible depuis le 13 octobre en librairie.

Propos recueillis par Enzo Leanni

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