Joueur marquant de National, Samuel Allegro a pris sa retraite en 2018. Dès les crampons raccrochés, il s’est lancé dans l’aventure UNFP (Union Nationale des Footballeurs Professionnels). Depuis, il est chargé de missions pour Europ Sports Reconversion. Témoin idéal de l’après-carrière des footeux.


Pouvez-vous expliquer le fonctionnement d’Europ Sports Reconversion ?

C’est un service de l’UNFP qui existe depuis 30 ans. Nous sommes détachés de l’UNFP, c’est une association à but non lucratif. L’objectif est de sensibiliser les joueurs professionnels et désormais les centres de formation et les féminines à l’importance de préparer son après-carrière le plus tôt possible. Il n’y avait que deux personnes qui s’en occupaient quand le service a été créé, aujourd’hui on est huit et on compte recruter encore dans toute la France. On est tous d’anciens joueurs professionnels donc on a aussi été à leur place.

Il y a des joueurs qui se forment de 22 à 35 ans maintenant. On va dans les vestiaires pour faire une intervention collective. Ensuite, on propose aux joueurs de venir à une réunion spécifique de notre service, présenter le fonctionnement. Si ça passe, c’est enfin en entretien individuel avant de les suivre durant toute leur carrière. Évidemment, à leur retraite aussi s’ils ont encore besoin d’aide. Quand certains sortent du circuit, on est là pour les accompagner, on ne fait pas de tri. C’est un service social.

Comment et pourquoi avoir intégré cet organisme ?

Quand j’ai commencé ma carrière (première saison professionnelle en 1997-1998), j’écoutais les anciens car je ne connaissais pas du tout l’UNFP et Europ Sports Reconversion. Quand il y avait des réunions, ils m’ont conseillé de venir écouter. J’étais assez sérieux et consciencieux donc j’ai sollicité tous les services. Entre 20 et 25 ans, j’avais déjà mes diplômes d’entraîneur, des assurances pour la suite, etc. On n’écoute pas trop les vieux du vestiaire, mais en réalité, une carrière passe extrêmement vite. Il ne faut pas arriver dans une situation d’urgence à la retraite, donc il faut de l’anticipation. Durant ma carrière, j’avais déjà pensé au fait d’intégrer l’UNFP pour suivre cette voie.

À quel moment le joueur se rend-il compte que la carrière passe rapidement ?

C’est propre à chacun, à mon époque on commençait globalement à s’inquiéter à 30 ans. Mais aujourd’hui, ça a beaucoup changé, les joueurs signent pro très tôt et peuvent donc être en fin de carrière à 23 ans. On a pas mal de jeunes qui sont professionnels sans avoir joué un seul match à ce niveau-là. Ils ne se disent pas qu’ils sont en fin de carrière, mais ils basculent dans le monde amateur donc il faut activer un nouveau processus. Maintenant, la durée moyenne de carrière est de six ans… C’est très peu et ça va très vite. On n’est pas pessimiste lors des réunions mais notre devoir est d’être réaliste, de leur dire la vérité.

(Source : redstar.fr)

J’imagine que les joueurs eux-mêmes peuvent se sentir intouchables et pas vraiment concernés par ce futur.

J’ai remarqué que c’est surtout l’entourage. La famille, les agents, tout ce qui gravite autour du joueur. On voit rapidement par qui il est entouré. Parfois il délègue, mais personne n’est mieux placé que lui pour savoir ce qu’il veut faire de sa reconversion. On le sensibilise, mais il prend ou pas. On ne peut pas sauver tout le monde malheureusement.

Y-a t-il des discussions avec cet entourage quand vous sentez qu’il peut devenir néfaste ?

On a mis en place des réunions dès la préformation pour ça. Ils ont 14 ans donc ils viennent avec leur famille. On leur explique notamment qu’ils peuvent encore continuer leurs études. C’est surtout à ça que sont sensibles les familles. Dernièrement on était au centre du Paris Saint-Germain et ça a beaucoup intéressé ce cercle familial. Ça marche surtout chez les plus jeunes je pense.

On commence à parler reconversion à 14 ans ?

Non, on ne parle pas de reconversion. C’est une transition professionnelle, un accompagnement. D’ailleurs le service s’appelle comme ça, mais on n’aime pas trop. Les joueurs au centre de formation qui ne signent pas professionnels sont majoritaires. Or, ils ont souvent arrêté l’école au brevet. On est là pour les mettre sur des formations pour continuer sur des plateformes en ligne par exemple et continuer sur un double projet. La reconversion intervient pour le joueur qui a 35 ans et qui sent la fin arriver. 

Quelle est la différence entre un jeune d’un centre de formation et un vieux briscard du monde professionnel ?

La formation est un sujet désormais courant. De plus en plus de sollicitations arrivent sur notre bureau. Ce qui fait notre force, c’est qu’on a accès aux vestiaires donc l’échange est simplifié. Le but n’est pas un intérêt financier, c’est pour le joueur. Il ne faut pas qu’il soit laissé pour compte. On est là plus pour le jeune homme que pour le joueur. Dans notre suivi, il y a un tuteur individuel donc on sait si le jeune rend ses devoirs, va bien à l’école, performe sur le terrain, etc. C’est un modèle à la carte où tout est adapté. Le joueur prend ou ne prend pas. Je leur dis souvent : « On ne vous force pas à vous former. » Si on m’avait forcé, je n’aurais peut-être pas accepté. C’est à eux de venir vers nous, d’être curieux, volontaires.

On retrouve le profil type du joueur qui pense à son après-carrière à partir du ventre mou de Ligue 1 ?

Exactement. Il a fait une petite carrière de Ligue 1, une bonne carrière de Ligue 2. Il a bien gagné sa vie, mais pas assez pour être rentier. En moyenne on va dire Ligue 2. 


« J’ai eu un boulanger, un pâtissier. Ils préféraient se lever à 4 heures pour leur passion plutôt que continuer dans le sport »


Quels sont les types de reconversion que l’on retrouve le plus ?

Chaque profil est vraiment différent. Il y a évidemment ceux qui passent des diplômes et qui restent dans le sport parce que quand on a le nez dedans, on ne voit que ça : coach sportif, diplômes d’entraîneur, scouting, analyse vidéo. Ensuite, je ne vous cache pas que des formations comme l’immobilier sont assez prisées. La création d’entreprise aussi. Pour les féminines, c’est davantage du marketing ou du digital.

Comment expliquez-vous cet essor de l’immobilier chez les footballeurs à la retraite ?

Ils ont des investissements. Par leurs conseillers financiers, ils s’intéressent à ça, ils ont déjà investi durant leur carrière. Ils se disent : « Ça me plaît, j’ai envie de faire ça ensuite. » Pour les créateurs d’entreprise, c’est souvent avec leur épouse. Nous, on est là pour les accompagner avec un suivi, des conseils, des études de marché, etc. Notre suivi est primordial. Moi, j’aime le terrain donc si je dois faire 3 heures de route pour voir un joueur, je préfère me déplacer. Je vais à Guingamp, à Brest… Les relations humaines sont à la base de tout. Le seul changement que l’on voit est lié au Covid-19, on a un peu moins accès aux vestiaires.

(Source : unfp.org)

Des joueurs en activité ont-ils déjà en tête un projet très établi pour la suite ?

Oui, carrément ! Certains ont déjà tout ficelé et ils n’ont plus qu’à finaliser leur formation. Ils ont de l’argent donc ils ont parfois déjà investi, déjà créé la boîte mais il leur manque les notions. Là ils viennent vers nous pour dire : « J’ai déjà ma marque de vêtement, ça marche bien, j’aurai juste besoin d’aide pour les assurances. »

Ils sont nombreux ?

Il y en a quelques-uns. J’aimerais qu’il y en ai plus. En termes de proportion, je dirais 5 ou 6 %, pas plus.

Quelle est la reconversion qui vous a le plus étonné ?

Il y en a certains qui n’aiment pas le football donc qui changent complètement de voie par la suite. J’ai eu un boulanger, un pâtissier. Ils préféraient se lever à 4 heures pour leur passion plutôt que de continuer dans le sport. J’ai eu un paysagiste aussi qui a suivi une formation spécifique. Un garde de pêche, une joueuse qui a voulu faire de la bijouterie… 

Parfois on doit négocier avec les formations pour qu’elles puissent aménager un suivi par rapport aux obligations professionnelles du joueur comme les entraînements et les matchs. Ces secteurs sont atypiques, sortent un peu de l’ordinaire, mais je trouve ça super. Tu ne t’en rends évidemment pas compte au centre de formation, mais quand tu mûris, que tu rencontres des gens extérieurs au football, tu vois un peu plus large. Je dis aux jeunes : « Faites vous un réseau, gardez contact,  ne soyez pas trop dans votre bulle, vous allez découvrir plein de métiers différents. »

Propos recueillis par Enzo Leanni

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