Depuis quelques années, la Fédération Française de Football commence à ouvrir la porte aux entraîneurs qui ne sont pas issus du monde professionnel. Un geste honorable, mais qui ne fait pas oublier les longues années où les anciens joueurs n’ont eu aucun problème à obtenir leurs diplômes sans expérience de coach. Est-ce vraiment plus simple pour eux ?

Il suffit de jeter un œil aux bancs des clubs français pour se rendre compte qu’ils sont principalement réservés aux anciens joueurs professionnels. Durant leur carrière, ceux-ci ont le luxe de passer certains diplômes avant de convoiter le Brevet d’entraîneur professionnel de football (BEPF) qui permet d’accéder aux trois plus haut rangs du pays. Pour ceux qui viennent du monde amateur, le chemin est plus long et semé d’embûches. Avoir côtoyé un vestiaire professionnel aide évidemment à en comprendre certains aspects comportementaux. Du point de vue tactique, toutefois, les entraîneurs « d’en bas » n’ont parfois rien à envier aux anciens joueurs. En France, une note de jeu est donnée aux coachs en formation. Comme si faire une transversale servait à animer une séance. « Je ne savais pas que pour devenir un jockey, il fallait un jour avoir été cheval », clamait Arrigo Sacchi, fer de lance des ces coachs qui n’ont jamais joué au haut niveau, à l’instar de José Mourinho ou Julian Naggelsman.

Fabien Pujo, lui, n’est jamais allé au-dessus de la quatrième division en tant que joueur, mais enchaîne les prouesses sur le banc. Ayant commencé en R4, il a réalisé sept montées à l’échelon supérieur avec ses différents clubs. Pas suffisant toutefois pour être admis au BEPF, où il a essuyé quatre échecs depuis 2019. « C’est le parcours classique d’un entraîneur persévérant qui se heurte à un monde élitiste dont il n’est pas issu », explique avec lucidité celui qui vient de faire monter GOAL FC en National. En juin dernier, le désistement de Stéphane Nado lui a permis d’enfin intégrer la promotion des entraîneurs formés pour travailler au plus haut niveau.

« Si tu n’as pas fait monter ton équipe en National, la Fédé n’a aucun intérêt à te prendre au BEPF et elle ne te prendra jamais », peste, quant à lui, Yacine Hamened. L’ancien responsable de la préformation d’Évian Thonon-Gaillard possède l’équivalent d’un UEFA A mais ne peut valider la suite de ses diplômes puisque la Fédération Française de Football ne l’accepte plus. Lors de sa formation, il a rapidement perçu la différence de traitement : « Les anciens joueurs professionnels ont des facilités, on leur passe certaines choses. Vu que les notes sont subjectives, ils peuvent proposer la pire séance, ils ont quand même la moyenne. »

ADMISSION FACILITÉE ?

Parmi les admis au BEPF, Fabien Pujo rejoint deux autres entraîneurs qui n’ont jamais connu le monde professionnel : Jean-François Vulliez (ancien directeur du centre de formation de l’Olympique Lyonnais, désormais en charge des U17) et Baptiste Ridira (Saint-Pryvé Saint-Hilaire, National 2). « C’est un privilège pour moi. Je vis ça comme si j’étais à l’ENA. C’est élitiste mais je me rends compte pourquoi, c’est du très haut niveau. Le BEPF, c’est l’aboutissement professionnel d’une reconnaissance du football d’élite », sourit l’entraîneur de GOAL FC. À ses côtés, se trouvent également Didier Digard, Fabrice Abriel ou Bryan Bergougnoux, têtes connues du monde professionnel.

(Source : Nice Matin)

Selon l’étude  « Entraîneur de football professionnel : itinéraire d’un joueur gâté ? », réalisée par Jean Bréhon, Hugo Juskowiak et Loïc Sallé, 85% des diplômés entre 2002 et 2014 étaient d’anciens joueurs pros à la carrière relativement longue. Depuis 2016 et la réforme obligeant les entraîneurs de National à avoir le BEPF, il y a entre deux et quatre coachs sans expérience professionnelle admis à la formation chaque année. « On peut dire que ça a changé, mais c’est parce qu’ils n’ont pas le choix. Ça fait du bruit donc ils ne peuvent plus se permettre de mettre dix anciens pros chaque année, estime Yacine Hamened. Mais surtout, c’est parce qu’ils ont eux-mêmes obligé les entraîneurs de National à avoir le BEPF. Vu qu’il y a quatre montées de Nationale 2, ça force à accueillir quatre nouveaux entraîneurs amateurs à la formation. On verra un vrai changement qu’il y aura des entraîneurs de Régional 1 ou de National 3 qui seront admis au BEPF. Là je dirais : “Bravo, ça c’est de l’ouverture !” » Autre critère de tri, un entraîneur de Régional 1 ne peut évidemment pas se payer une formation à plus de 27 000 euros. « Le critère financier est là pour exclure les candidats qui n’ont pas de club en capacité de payer une telle somme », avance-t-il.

Mais certains anciens joueurs professionnels galèrent aussi de leur côté. Jacques Abardonado, par exemple, a été refusé quatre fois à la formation du BEPF. Pour Fabien Pujo, c’est la présence de Franck Thivilier à la Direction Technique Nationale qui permet une évolution : « C’est un pionnier ! Joueur amateur, entraîneur amateur, rentre à la FFF par le district et, aujourd’hui, au pôle recherche, il a fait évoluer les choses. Il n’hésite pas à laisser certains pros sur le carreau pour nous donner une chance. » La France semble cependant encore bien loin de ses voisins portugais, allemands et italien en la matière. Pourtant, dès les années 1990, Gérard Houllier devient sélectionneur national sans jamais avoir été professionnel et en étant professeur d’anglais de formation. Mais pourquoi son cas n’a pas servi d’exemple ? Yacine Hamened est catégorique : « La mentalité est tellement gangrénée, la Fédé est tellement verrouillée, que même lui, lorsqu’il devient DTN, n’est pas capable d’ouvrir la voie. » Pour ne pas dire qu’il a aidé à la fermer encore plus.

VERS UN FUTUR PLUS RADIEUX ?

Comme Gérard Houllier ou Guy Roux, certains font figure d’ovnis, mais sont encore minoritaires. La saison dernière, la Ligue 1 a appris à connaître Will Still. Derrière l’image du joueur de Football Manager se cache surtout un mordu de jeu qui a dû batailler pour faire ses gammes en Belgique. Dans l’Hexagone, c’est le parcours de Christophe Pélissier qui impressionne. Sans passé professionnel, il a connu quatre promotions différentes (Luzenac, Amiens par deux fois et Lorient). « Venant de R4, je ne peux pas cacher que Christophe Pélissier est une source d’inspiration pour moi, évoque Fabien Pujo. Je peux m’identifier à lui pour son parcours. Mais on a une seule icône, là où les Portugais ou les Allemands en ont beaucoup. Je verrai une évolution quand un club de Ligue 1 ira chercher un entraîneur de National 3. Christophe Pélissier, lui, a dû monter tout seul avec son club. »

Yacine Hamened s’appuie sur les mêmes exemples : « Pour faire évoluer les mentalités, il va falloir qu’il y en ai plus comme eux, et que Will Still ne se trompe pas. Il est attendu au tournant, tous les requins rêvent qu’il ne réussisse pas pour nous dire que c’était éphémère et qu’il n’avait effectivement pas les codes et les épaules pour entraîner à ce niveau-là. » Récemment, Oswald Tanchot a pris les rênes du FC Sochaux avec une carrière réalisée en quasi-intégralité dans les rangs amateurs. « Il y en a peu, plaide Fabien Pujo. Fabien Mercadal aurait pu nous servir d’icône. Top entraîneur en National, ses années en Ligue 2 ne sont pas mal, puis le projet Caen, en Ligue 1, est raté et on ne lui donne plus jamais sa chance. Son parcours nous a d’abord fait gagner dix ans, puis son échec nous a fait perdre dix ans. » Ça sera donc à la prochaine génération de servir la cause : Alexandre Torres, diplômé du BEPF l’an dernier, Baptiste Ridira ou encore Grégory Poirier (qui possède une poignée de matchs de Ligue 2), admis tous deux à la formation cette année.

(Source : Icon Sport)

« L’ouverture à des profils comme nous montre un changement progressif des mentalités. Dernièrement, Bergerac est allé chercher un jeune coach, Yassine Azahaf (31 ans) parce qu’auparavant ça s’est bien passé avec Erwan Lannuzel et moi-même encore avant. Il n’y a que par la réussite qu’on pourra se faire une place », explique Fabien Pujo. Comme Christophe Pélissier, le statut n’offre pas la possibilité d’échouer. Pour servir d’exemple, Will Still devrait presque faire du Stade de Reims une équipe européenne.

VRAIMENT PLUS SIMPLE POUR LES ANCIENS PROS ?

« Clairement ! », répond Yacine Hamened du tac au tac. Comme l’étude de Jean Bréhon, Hugo Juskowiak et Loïc Sallé le montre, les statistiques sont implacables. Fabien Pujo aussi s’appuie sur les chiffres : « Quand on regarde les datas, on répond catégoriquement que oui, être ancien joueur professionnel aide à devenir entraîneur en France. » Il assure également ne sentir aucune différence de traitement entre lui et les anciens professionnels actuellement en formation. 

Si l’admission de Baptiste Ridira ou Jean-François Vulliez marque une évolution, un cas a récemment marqué les esprits. Habib Beye a été admis au BEPF en 2021-2022 avant même d’appartenir à un staff. Dans sa promotion se trouvait notamment Régis Le Bris, ancien joueur de Ligue 2 certes, mais qui a surtout dû attendre une dizaine d’années de formateur pour obtenir le graal qui lui a permis de s’asseoir sur le banc du FC Lorient en Ligue 1. « Benoît Pedretti a passé le BEF, le DES et le BEPF en trois ans. Il peut entraîner au plus haut niveau en seulement trois ans… Pendant que moi pour faire le même parcours, il me faut minimum sept ans, à condition que la Fédé veuille bien me prendre, soupire Yacine Hamened. Tu entraînes pendant 20 ans au niveau amateur, mais tu te fais passer devant par des mecs qui n’ont jamais entraîné et qui, en trois ans, se retrouvent à Nancy ou au Red Star. »

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En quelques années, Benoît Pedretti et Habib Beye ont donc entraîné à un niveau que Fabien Pujo ne va connaître que la saison prochaine avec GOAL FC. « Il y a eu une protection du monde professionnel durant trop longtemps. Je ne suis toujours pas convaincu que le critère numéro un en France soit la compétence. Le mot “copinage” est peut-être un peu fort, mais on est quand même dans un pays qui génère de la cooptation. » Yacine Hamened, lui, n’hésite pas : « Bien sûr qu’il y a du copinage. Le problème, c’est que les clubs réfléchissent aussi comme ça, ils choisiront le nom plutôt que les compétences à première vue. » Sauf si Will Still réalise une nouvelle série d’invincibilité et que Christophe Pélissier fasse remonter Auxerre dans l’élite. Pour eux, il n’y pas de place pour l’échec.

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