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Alors qu’il vient d’être annoncé en tant que responsable de la cellule de recrutement de Dijon l’an prochain, Gérard Bonneau a décidé de revenir sur ses années au sein du centre de formation de l’Olympique Lyonnais. Au fil de ses vingt-cinq années passées au club il a vu de nombreux noms défiler. Pour La Causerie et Lyon Academy, il s’est confié sur sa longue aventure lyonnaise.

Vous êtes dans le monde du football depuis plus de trente ans. Quels différents postes avez-vous occupés depuis vos débuts ?

Après une carrière de joueur non-professionnel et un début de carrière d’entraîneur à Villeurbanne et Lyon Duchère, j’ai rejoint l’Olympique Lyonnais en 1983 en tant qu’éducateur des cadets. J’étais également éducateur de ce qu’on appelait les structures sport-étude en charge des 12-16 ans. J’y suis resté jusqu’en 1990 avant d’aller entraîner Rillieux, Villeurbanne, Tassin-la-Demi-Lune. Ensuite, de 1995 à 2000, j’ai été conseiller technique à la Fédération Française de Football. Je suis revenu, en 2000, à Lyon jusqu’en 2018 où j’ai d’abord entraîné les U17 avec Armand Garrido. Deux ans plus tard, j’ai intégré la cellule de recrutement de l’académie, jusqu’en 2016 où je suis passé avec les professionnels. Depuis 2018, je suis directeur technique du Servette. Depuis que j’ai passé mes diplômes au début des années 1980 j’ai tout enchaîné très rapidement. Je suis, en réalité, un entraîneur responsable du recrutement car mon métier m’oblige à être en interrelation avec les coachs. 

Comment supervise-t-on un jeune joueur ?

Il faut connaître les âges mais c’est toujours un instant T, le moment. J’aime toujours commencer à 11 ou 12 ans même s’il y a des exceptions comme Karim Benzema où dès 10 ans on voyait qu’il pouvait réussir. De 12 à 16 ans, ce qu’on appelle la préformation, des évaluations sont faites chaque année. Elles sont, en fin de compte, justes et pas justes. Certains jeunes en avance à 12 ans ne le sont plus à 14 tandis que certains qui avaient du retard à 12 ans se révèlent meilleurs que d’autres à 16. Il faut être très vigilant. Sur cette catégorie 12-16 ans, on regarde d’abord sa relation technique avec le ballon. Il y a également l’aspect visuel, sa compréhension des choses notamment collectivement. Individuellement c’est surtout sa force technique qui nous intéresse. Un garçon de onze ans qui sait manier le ballon se verra donner des responsabilités au sein de l’OL mais en étant vigilant car le mental n’est pas encore là. Vers 13 ans, on évalue davantage sa relation sans ballon, à la perte, dans son placement. A l’Olympique Lyonnais nous ne regardions pas l’aspect physique trop tôt. Le football avant tout. 

Y-a-t-il des limites liées au temps lors d’un travail de supervision ?

Non, déjà ils ne peuvent pas signer avant 16 ans. En général, nous laissions minimum deux ans aux jeunes joueurs pour voir s’ils étaient capables de réaliser tout ce qu’on a dit juste avant. J’aime bien prendre l’exemple de Karim Benzema car à 16 ans, il y avait des éducateurs qui ne voulaient pas le garder. Il avait un facteur limitant qui était la vitesse. Il était avant-dernier aux tests de vitesse et certains pensaient que ça ne suffisait pas pour réussir. Il faut être patient car, à côté, il marquait une trentaine de buts, synonymes d’une technique remarquable. Physiquement, il était du mois de décembre et ça joue énormément. On devait, en réalité, le considérer comme un jeune de 1988 et sa croissance est ainsi venue à 16 ans, il a pris onze centimètres et sept kilos. Tout est aléatoire à cet âge et c’est pourquoi on pense d’abord à la technique plutôt qu’au physique. Surtout quand un jeune a un point fort technique, il faut le garder à tout prix. 

A partir de 16 ans, il y a de grandes chances qu’il reste jusqu’à 20 ans et il y a alors une réflexion sur ses capacités à jouer au haut niveau. Les facteurs limitants sont alors jugés de la même façon entre technique et physique. Il y a alors des relations entre les recruteurs, les éducateurs ou encore les préparateurs physiques. Il y a un véritable suivi, ce n’est pas juste un métier où il suffit de voir des matchs. Le cas du “petit” Tolisso est intéressant également car des gens au club ne voulaient pas le garder mais ce qu’il avait de fort en lui nous a poussés à le conserver et, au final, sa carrière est fantastique.

(Source : lequipe.fr)

(Source : lequipe.fr)

Dans une interview, vous disiez présenter un “projet” aux jeunes joueurs. Qu’entendez-vous par là ? 

C’est un double-projet. Tu rentres dans un club professionnel à tel âge pour t’entraîner tous les jours. Le projet est alors de savoir jusqu’où tu vas aller dans ce sport. Le projet est également de savoir tout ce qu’il faut faire pour devenir joueur professionnel et se préparer à ne pas le devenir. Quand ils ont 12 ans c’est un projet commun, une famille, un environnement, ensuite c’est le moment où il faut créer le projet personnel qu’avec le joueur lui-même. Pourquoi je veux devenir joueur professionnel ? Qu’est-ce qu’il faut que je fasse ? Il faut connaître son corps, ses qualités, ses défauts. On peut également faire la même chose que les autres jeunes de son âge mais pas au même moment. La partie invisible de l’iceberg est la récupération, la diététique ou le sommeil et il faut être disponible et prêt à faire des sacrifices. Le double projet doit exister jusqu’au bac et après voir si on peut devenir professionnel ou s’il faut reprendre des études pour faire un métier lié au sport ou plus personnel. 

Anthony Martial, Yassine Benzia ou Jordan Ferri ne sont pas issus de la région Rhône-Alpes. Comment faisiez-vous pour repérer ces joueurs ?

Quand je suis arrivé, le recrutement était très régional. Ça a été l’un des axes de développement. On donnait la priorité aux jeunes du bassin rhônalpin puis on a élargi au niveau national. Notamment du côté de la région parisienne et du bassin méditerranéen qui étaient riches de jeunes joueurs. Quand il nous manquait un joueur à tel poste sur telle génération, on avait déjà vu ce qu’il se faisait ailleurs et on pouvait donc choisir rapidement. On pouvait les ramener à partir de 16 ans afin de compléter les équipes. Une condition subsistait : ils devaient faire partie des cinq meilleurs joueurs. Les joueurs qu’on prenait devaient être, à terme, professionnels à l’OL. D’autres joueurs comme Lossémy Karaboué ont été recrutés mais ne sont jamais passés professionnel à Lyon mais finalement on a eu assez peu d’échecs à ce niveau.

« Mais c’est quoi ce gamin ? Qu’est-ce qu’il nous fait ? » (à propos du jeune Farès Bahlouli)

Justement, vous avez eu le flair pour recruter des noms plus que significatifs aux yeux des amateurs de football. Quel est celui-ci que vous retenez le plus ?

C’est difficile car on les retient tous mais je vais citer des joueurs qui n’étaient pas vraiment suivis au moment de leur formation. Je pense, par exemple, à Alassane Pléa qui jouait dans un club amateur de Wasquehal et habitait dans une tour qui donnait sur les terrains d’entraînement du LOSC. Lille ne l’a jamais contacté hormis au moment où nous sommes venus. La famille avait une envie de proximité et était préféré à ce qu’il joue au LOSC mais Alassane a dit : “S’il n’y a pas Monsieur Bonneau, je n’y vais pas”. Il y a également Mouctar Diakhaby qui était au Vertou. Nantes l’avait “jeté”, quand on va le chercher c’est dans ce club amateur et deux ans après il est en pro avec l’OL. Yassine (Benzia) jouait à Quevilly à 17 ans et aucun club ne s’intéressait à lui. Jordan Ferri également. On m’avait dit que c’était “un petit gros” mais au final il fait une très belle carrière. Il y a beaucoup d’attachement en tant que recruteur et également avec la famille où on tente de ne pas parler que d’argent car dans le football moderne on y accorde beaucoup d’importance. J’aime également citer l’exemple d’Adrien Cabon qui n’a pas pu devenir professionnel à cause problèmes génétiques. Il est parti cinq ans aux Etats-Unis et est revenu avec un Master. La réussite n’est pas toujours que sportive. 

En ce moment, le nom de Farès Bahlouli revient très souvent. Vous lui prédisait une carrière à la hauteur de celle d’Anthony Martial. Quel est votre sentiment à son propos aujourd’hui ?

Farès c’est un garçon du club. Je me souviens d’un de ses matchs quand il devait avoir huit ou neuf ans. Je me suis dit “Mais c’est quoi ce gamin ? Qu’est-ce qu’il nous fait ?”. Il était éblouissant. Il s’était fait mal et j’avais donc parler avec son père afin de mieux comprendre son environnement. Aujourd’hui, il a fait sa carrière mais je pense qu’elle aurait pu être bien plus convaincante. C’est un peu comme Hatem Ben Arfa. Ce sont des joueurs qui font des carrières mais pas à la hauteur de leur talent. Ils étaient tellement doués qu’on en a attendu plus. On aurait voulu pour Farès et Hatem que ça soit plus. Son petit frère, Mohamed, est aussi un super joueur de football. Je continue de le dire mais moi je voyais Farès tout en haut. C’est dommage car avec Martial ils étaient les meilleurs de la génération 1995. 

(Source : lavoixdelain.fr)

(Source : lavoixdelain.fr)

Ces dernières années, certains supporters estiment que la chance donnée aux jeunes de l’OL est trop faible. Cela a pu provoquer certains départs comme ceux de Willem Geubbels ou Amine Gouiri. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?

C’est difficile, la post-formation est devenue compliquée car on fait signer les joueurs de plus en plus jeunes. Ils doivent donc jouer très vite avec la Nationale 2 et on veut qu’ils arrivent dans l’équipe A très vite. Or, celle-ci joue les trois premières places de Ligue 1 chaque année. La post-formation est difficile dans tous les pays mais particulièrement en France car la réserve est cantonnée à la N2. Il existe aussi les prêts mais c’est bizarre car ils servent à ne pas obstruer le groupe professionnel. Il peut également exister un manque de patience chez les jeunes joueurs mais surtout de leur environnement. Certains sont pressés de gagner plus vite de l’argent, d’être plus vite médiatisés. Aujourd’hui, Geubbels je ne le vois pas alors qu’il était prédestiné à une grande carrière.

Depuis votre arrivée à Servette, des anciens joueurs de l’Olympique Lyonnais sont arrivés parmi lesquels Timothé Cognat ou Yoan Severin. Comment expliquez-vous ces transferts ?

(Rire) Bien sûr que je les connaissais et je savais qu’ils étaient disponibles. Timothé Cognat et Houssem Aouar étaient les deux meilleurs joueurs de la génération 1998. Houssem n’était pas encore en Equipe de France U17 que Timothé était déjà capitaine. D’ailleurs, il remporte le championnat d’Europe U17 en 2015 au contraire d’Aouar. Quand Bruno Genesio convoquait Timothé dans le groupe professionnel, il le faisait jouer couloir alors que c’est un relayeur. Il lui fallait un nouveau défi et après ses deux bonnes saisons à Servette il est convoité par des clubs un peu plus huppés. Il y a aussi Boubacar Fofana que j’ai ramené cette année.  

Grâce à la formation, Jean-Michel Aulas a créé une équipe compétitive

A l’image de Timothé Cognat, des joueurs barrés à Lyon qui semblent ensuite faire l’unanimité du côté de leur nouveau club, cela doit forcément vous faire plaisir.

Oui, cela nous fait énormément plaisir. Nous avons eu la chance d’être formé par de grands hommes comme Alain Thiry ou José Broissart. L’institution de l’Olympique Lyonnais est une véritable fabrique à talent. Des jeunes joueurs, il y en a eu, il y en a et il y en aura encore. Le système de formation qu’on a ces vingt dernières années et un travail d’interrelation entre les éducateurs, les recruteurs, les responsables de la formation et avec, évidemment, l’entraîneur du groupe professionnel. A part Alain Perrin qui n’était pas très ouvert à travailler avec l’académie, tous les autres ont trouvé notre jeunesse parfaite. Je ne parle même pas de Rémi Garde mais c’est également le cas de Claude Puel, Jacques Santini ou Paul Le Guen. Il se sont inspirés de ce qui est fait en amont des professionnels. C’est grâce aux « premiers » jeunes vendus que le club a pu acheter Sonny Anderson ou Manuel Amoros et c’est pour cela qu’on ne peut pas délaisser la formation. Moi, je suis très fier de l’immense travail qu’on a réalisé. L’académie OL c’est l’excellence.

Vous faites un premier passage à l’Olympique Lyonnais de 1983 à 1990 avant de revenir officier en 2000. Avez-vous vu un changement considérable au sein de l’académie du club lors de votre retour ?

J’ai eu de la chance d’avoir vécu deux périodes différentes. Lorsque j’arrive en 1983, Charles Mighirian est le président. Donc j’ai vu arriver Monsieur Aulas, en 1987, en deuxième Division. J’ai donc connu la D2 et la promotion en D1 en 1989. Lorsque je reviens on glane notre premier titre (Coupe de la Ligue 2000) et après on rafle tout en France durant presque dix ans. Ce qui a changé c’est surtout la dimension prise par le club. Jean-Michel Aulas a construit le club en apprenant très vite. Grâce à la formation il a créé une équipe compétitive. 

Hier le journaliste Loïc Tanzi a annoncé que vous serez responsable de la cellule de recrutement de Dijon l’an prochain. Allez-vous vraiment rejoindre Grégory Coupet et David Linarès ?

Oui, je vous le confirme ! * Je vais donc travailler avec David que j’ai vu arriver très jeune à l’OL et également avec Greg qui est bien plus connu. Il y a quelque chose à faire du côté de Dijon.  

Cela veut dire que le projet que vous aviez avec Bourg-en-Bresse est avorté ?

Non, Bourg ça a été annoncé trop tôt pour moi. C’est un beau projet. David Venditelli, qui reprend le club, est quelqu’un que j’aime beaucoup mais je ne pense pas être encore l’homme de la situation. Je n’ai plus le genre de repère qu’on a lorsqu’on travaille en N3 ou N2. Je reste évidemment en relation avec le club. Il y a aussi Jean-Paul Ancian qui travaille là-bas et que je connais depuis longtemps. 

*L’entretien s’est déroulé avant le communiqué de Servette et du DFCO. 

Propos recueillis par Florian J. et Enzo Leanni 

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